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Le fait de s’affranchir de la législation antiblanchiment confère-t-il
à son auteur un avantage concurrentiel indu constitutif d’une faute de concurrence déloyale ?

Créé le

12.02.2024

Le respect de la législation antiblanchiment engendre nécessairement un coût supplémentaire pour l’entreprise
qui y est soumise et le fait de s’en affranchir confère
à son auteur un avantage concurrentiel indu qui peut être constitutif d’une faute de concurrence déloyale.

Le non-respect de la législation antiblanchiment, qui repose sur les obligations de vigilance et la déclaration de soupçon1, peut-il être pris en considération dans le cadre d’une action en concurrence déloyale pour évaluer le préjudice subi par la victime d’un tel acte ? Une réponse positive est donnée par la Cour de cassation dans son arrêt du 27 septembre 2023 :

« 9. Le respect par une entreprise des obligations imposées aux articles L. 561-1 et suivants du code monétaire et financier pour lutter contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme engendre nécessairement pour elle des coûts supplémentaires.

10. Il en résulte que le fait pour un concurrent de s’en affranchir confère à celui-ci un avantage concurrentiel indu, qui peut être constitutif d’une faute de concurrence déloyale. »

L’existence des coûts induit par la législation antiblanchiment est incontestable : les assujettis à cette législation doivent mettre en place des procédures et avoir un personnel dédié. Mais si ces coûts supplémentaires sont indéniables, est-ce un fait qui peut être pris en considération dans le cadre d’une action en concurrence déloyale ?

La réponse positive donnée par l’arrêt commenté semble se démarquer des décisions antérieures. On se souvient effet que, dans des arrêts 28 avril 20042 et 21 septembre 20223, la Cour de cassation a décidé que la victime d’agissements frauduleux réalisés au moyen de chèques falsifiés ou de virements à des entités mises en cause dans des escroqueries ne peut pas mettre en cause la responsabilité de la banque en invoquant la méconnaissance de la législation antiblanchiment. Doit-on alors en conclure que, par l’arrêt commenté, la Cour procède à un revirement de jurisprudence ? La réponse nous semble négative.

En effet, d’une part, les situations sont différentes. Dans les arrêts de 2004 et 2022 était en cause la responsabilité des assujettis à la législation antiblanchiment. Ce n’est pas le cas dans l’arrêt de 2023. Ce sont les situations entre concurrents qui sont concernées. D’autre part, dans l’arrêt de 2023, ce n’est pas le non-respect de la législation antiblanchiment, et donc la violation de cette législation, qui est en cause. Or c’était bien une telle violation qui était au cœur des arrêts de 2004 et 2022.

L’arrêt du 27 septembre 2023 ne revient donc pas sur les solutions consacrées par les arrêts des 28 avril 2004 et 21 septembre 2022. Il fait seulement preuve de réalisme. Le respect des législations a un coût. Si un professionnel s’y soustrait, il obtient un avantage indu et fausse ainsi la concurrence au détriment des professionnels qui mettent en œuvre les législations qui s’imposent à eux. De ce point de vue, la solution consacrée par l’arrêt commenté n’est pas étonnante car elle rejoint un arrêt du 28 septembre 20104 qui a déjà admis que le non-respect d’une réglementation peut être sanctionné sur le terrain de la concurrence déloyale. n

À retrouver dans la revue
Banque et Droit Nº213
Notes :
1 V. Th. Bonneau, Droit bancaire, 15e éd. 2023, LGDJ, n° 346 et s.
2 Cass. com. 28 avr. 2004, Bull. civ. IV, n° 72, p. 74 ; Banque et Droit n° 96, juill.-août 2004. 56 obs. Th. Bonneau ; D. 2006, pan. 159, obs. H. Synvet ; JCP 2004, éd. E, 830, note J. Stoufflet et éd. G, II, 10105, note C. Cutajar ; LPA n° 107, 28 mai 2004, p. 5, Rapport M. Cohen-Branche ; RD bancaire et fin. n° 4, juill.-août 2004. 243, obs.
F-J. Crédot et Y. Gérard ; RTD com. 2004. 577, obs. M. Cabrillac ; F. Boucard, « La violation d’une norme professionnelle constitue-t-elle une faute civile ». Exemple en matière de blanchiment de capitaux (note sous Cass. com. 28 avr. 2004), RD bancaire et fin. n° 4, juill.-août 2004. 273.

3 Cass. com. 21 sept. 2022, n° 21-12335, Banque et Droit janv.-févr. 2023. 24, obs. Th. Bonneau ; JCP 2022, éd. E, 1383, note J. Lasserre Capdeville et E, 1416, n° 2, obs. N. Mathey ; Gaz. Pal. 8 nov. 2022. 37, note M. Roussille ; RD bancaire et financier, nov.-déc. 2022, com. n° 156, obs. Th. Samin et S. Tork ; D. 2023 p. 147, note N. Kilgus et Th. Ravel d’Esclapon.
4 Cass. com. 28 septembre 2010, pourvoi n° 09-69.272.
RB