Le retrait litigieux est un mécanisme original, prévu par l’article 1699 du Code civil1, qui a pour objectif de faire obstacle à des opérations spéculatives malsaines en permettant au débiteur d’une créance litigieuse de se substituer au cessionnaire de celle-ci2. Le retrait litigieux peut être exercé aussi par la caution du débiteur cédé, et ce même dans le cas de la cession d’un portefeuille de créances comme le rappelle un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation rendu en formation de section le 14 février 20243, qui doit retenir l’attention des banques et des fonds de titrisation.
En l’occurrence, par acte du 21 décembre 2011, une banque a consenti à une société un prêt d’un montant de 607 000 euros, garanti par le cautionnement d’une personne physique. Après que la société ait été placée en procédure de sauvegarde puis en liquidation judiciaire, la banque a assigné la caution en exécution de son engagement. Celle-ci a fait valoir devant les premiers juges, par conclusions du 31 janvier 2018, que la banque ne pouvait pas se prévaloir de la garantie en raison de son caractère disproportionné et a conclu au rejet des demandes à son encontre. La caution a cependant été condamnée à payer une certaine somme par un jugement du 20 juin 2018, dont elle a interjeté appel le 24 juillet 2018. Dans ce contexte, par acte du 3 août 2020, la banque a cédé à un fonds commun de titrisation (FCT) un portefeuille de créances comprenant celle garantie par le cautionnement. La valeur faciale de chacune des créances n’était pas mentionnée mais il était précisé dans l’acte que le prix de cession du portefeuille tenait compte de l’appréciation par le cédant et le cessionnaire de l’équilibre du risque et des chances de recouvrement des créances. Le FCT étant intervenu volontairement à l’instance d’appel, la caution lui a opposé, par conclusions du 13 décembre 2021, le retrait litigieux prévu à l’article 1699 du Code civil. Aux termes d’un arrêt du 30 juin 2022, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a accueilli cette prétention et a condamné la caution à payer à la banque la somme de 20 658,72 euros, très nettement inférieure au montant nominal de la créance et au solde du prêt garanti, correspondant à la division arithmétique de la somme payée pour l’ensemble des créances cédées (195 millions d’euros) par le nombre desdites créances (9 304), outre les frais et loyaux coûts, avec intérêts à compter du jour où le cessionnaire avait payé le prix de la cession.
La chambre commerciale rejette le pourvoi en cassation formé contre cet arrêt par la société de gestion du fonds de titrisation, qui était articulé en pas moins de huit branches, contestant pour l’essentiel (I.) l’exercice du retrait litigieux par la caution, et ce de surcroît à l’égard d’une créance incluse dans une cession en bloc (II.).
I. S’agissant de l’exercice du retrait par la caution, la chambre commerciale rappelle d’abord (pt. 7) que « la cession de la créance principale, comprenant aussi, par application de l’article 1692 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016, ses accessoires, emporte au profit du cédant la cession de la créance sur la caution, de sorte que cette dernière peut, lorsqu’elle conteste le droit invoqué contre elle, exercer le droit au retrait litigieux ». Elle ajoute (pts. 10 et 12) que « le débiteur assigné en paiement a la qualité de défendeur au litige et peut donc, s’il conteste le droit du créancier au fond, exercer le droit au retrait prévu à l’article 1699 du Code civil, peu important que cet exercice intervienne après que le débiteur a interjeté appel du jugement l’ayant condamné au paiement » et qu’« en l’état de ces constatations et appréciations (concernant la date à laquelle la caution avait invoqué le caractère disproportionné de son engagement en première instance puis la date à laquelle la caution avait exercé le retrait litigieux en cours de procédure d’appel), la cour d’appel a exactement retenu que M. [Z] avait la qualité de défendeur dans un litige fondé sur son engagement de caution et à l’occasion duquel il avait contesté le fond du droit invoqué contre lui, de sorte qu’il pouvait exercer le droit au retrait ».
Cette solution doit être pleinement approuvée. La première chambre civile de la Cour de cassation avait déjà jugé dans un arrêt de censure du 26 mars 20134 que la caution pouvait exercer le retrait litigieux dès lors qu’elle « était défenderesse à l’instance qui avait pour objet la contestation du droit litigieux ». Or, tel était précisément le cas en l’espèce puisque la caution, poursuivie en paiement, avait déjà invoqué en première instance, de manière classique, le caractère disproportionné de son engagement (sanctionné alors par une décharge totale de celui-ci) : la créance était donc contestée par la caution dans son principe même avant sa cession et l’était encore lorsque la caution avait exercé le retrait litigieux. Il convient de préciser que la solution est transposable (i) sous l’empire des nouvelles dispositions de l’article 1321, alinéa 3 du Code civil (issues de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats) qui a repris les dispositions de l’ancien article 1692 du Code civil selon lesquelles la cession de la créance « s’étend à ses accessoires », qui comprennent bien sûr les sûretés dont elle est assortie et (ii) des nouvelles dispositions de l’article 2300 du Code civil (issues de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 portant réforme du droit des sûretés) concernant la sanction d’un cautionnement manifestement disproportionné souscrit à compter du 1er janvier 2022, même si ce caractère n’emporte plus décharge de la caution mais une simple réduction de son engagement5. Plus délicate était la question de savoir si le retrait litigieux pouvait être exercé par la caution alors que la créance litigieuse avait été cédée avec d’autres dans un portefeuille de créances.
II. La chambre commerciale réfute l’argumentation développée par le pourvoi selon laquelle, à supposer même que la cession en bloc d’un grand nombre de créances ne fasse pas obstacle à l’exercice du retrait litigieux à l’égard d’une créance qui y est incluse, c’est à la condition que la détermination de son prix soit possible (alors que le FCT avait, selon la cour d’appel, « occulté le montant des créances cédées »6) et que si un prix était déterminable, il était nécessairement très proche de la valeur faciale de la créance cédée, dans la mesure où les chances de recouvrement de celle-ci étaient très élevées en raison des garanties dont elle était assortie. Le pourvoi reprochait ainsi à la cour d’appel d’avoir privilégié la méthode statistique consistant à diviser le prix total payé pour le bloc par le nombre de créances cédées pour déterminer le prix de chaque créance. La chambre commerciale n’adhère pas à ce raisonnement et énonce (pts. 15 à 18) :
« La cession en bloc d’un grand nombre de droits et créances ne fait pas obstacle à l’exercice du droit de retrait litigieux à l’égard d’une créance qui y est incluse, dès lors que la détermination de son prix est possible. Après avoir constaté que l’acte de cession porte mention d’un prix global de 195 000 000 euros et que le prix de la créance litigieuse n’y est pas déterminé, l’arrêt relève qu’à la demande de M. [Z], le conseiller de la mise en état a enjoint au FCT de produire la copie intégrale de l’acte de cession comportant la liste des créances désignées et individualisées, tous documents rendant compte de la valeur et des chances de recouvrement de ladite créance ainsi que tous éléments d’appréciation précis et concrets permettant à la cour d’appel de dire si le prix de la créance est déterminable. Il ajoute que si le FCT a communiqué la copie de l’acte intégral de cession, y compris l’annexe correspondant à la liste des 9 304 créances cédées, il a occulté le montant des créances cédées et a fait valoir que les autres documents dont M. [Z] sollicitait la production aux débats n’existaient pas ou que leur communication se heurtait au secret des affaires. Ayant ensuite constaté que l’acte de cession précise que le prix du portefeuille tient compte de l’appréciation qu’ont le cédant et le cessionnaire de l’équilibre du risque et des chances de recouvrement et que le FCT, qui ne fournit aucune évaluation du prix réel de la créance autre que celui proposé par M. [Z], indique ignorer le prix individuel de chaque créance au motif que le prix du portefeuille résulterait d’une “analyse complexe mais non scientifique” prenant en considération des “évaluations statistiques multiples qui tiennent compte des informations communiquées par le cédant”, et réfute toute analyse financière élaborée pour chaque créance cédée, l’arrêt retient que le FCT aurait néanmoins pu aisément communiquer la somme totale des créances cédées sans violer le secret des affaires qu’il invoque pour justifier son abstention ni révéler l’identité des débiteurs. En l’état de ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d’appel, qui n’a pas retenu que le bordereau de cession devait mentionner la valeur faciale de chacune des créances cédées, mais jugé qu’il était aisé au cessionnaire de fournir cette information, et qui n’était pas tenue d’effectuer les recherches invoquées par la huitième branche, que ses constatations rendaient inopérantes, en a déduit, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation du choix de la méthode la plus adaptée pour déterminer la valeur de la créance cédée, qu’il convenait, faute d’élément contraire proposé par le FCT, de privilégier la méthode arithmétique qui implique de rapporter le prix total payé (195 millions d’euros) au nombre de créances cédées (9 304) pour déterminer le prix de chaque créance, soit 20 958,72 euros, somme à laquelle elle a, par conséquent, pu déterminer la valeur de la créance litigieuse cédée. »
Là encore, la solution n’est pas nouvelle. S’il a été jugé que le retrait litigieux est exclu lorsque le droit litigieux n’est qu’un élément accessoire d’une cession dont l’objet principal est plus vaste7, la chambre commerciale avait déjà admis qu’il est envisageable en cas de cession globale d’un ensemble de créances8, et notamment lorsque la cession des créances litigieuses se réalise au profit d’un fonds commun de créances9, à condition que le prix de la créance litigieuse soit déterminable par le juge10. La solution avait cependant été critiquée11 et c’est l’un des intérêts de l’arrêt rapporté que de la réaffirmer on ne peut plus clairement. (avec une publication au Bulletin civil). À cet égard, il est vain de vouloir occulter le prix des créances cédées, puisque la Cour de cassation admet que, dans le cadre de leur pouvoir souverain d’appréciation des faits, les juges du fond peuvent déterminer le prix de la créance litigieuse en appliquant la méthode statistique et arithmétique12, avec un dénouement très favorable au débiteur cédé et sa caution qui réduisent considérablement le poids de leurs engagements. Relevons que cette solution a vocation à être maintenue dans le cadre de la prochaine réforme du droit des contrats spéciaux13.
Il y a vingt ans, le Doyen Philippe Simler attirait déjà l’attention sur les avantages de l’exercice du retrait litigieux pour les cautions14. Celles-ci les ont bien perçus et la Cour de cassation a favorisé le retrait litigieux, qui produit aussi un effet extinctif du procès appréciable pour les juridictions, en lui conférant un large domaine. Les praticiens doivent en tirer les enseignements dans les cessions de bloc de créances, en précisant dans la mesure du possible un prix pour chaque créance cédée, ce qui est cependant très difficilement réalisable lorsqu’il s’agit d’une opération de titrisation incluant des milliers de créances... n