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Résultats semestriels

« Les efforts de provisionnement peuvent être hétérogènes »

Créé le

24.08.2020

Les banques européennes n’ont pas toutes adopté la même stratégie de provisionnement dans leurs résultats du second trimestre 2020. Selon Pierre Gautier (S&P Global Ratings), la diversité des hypothèses retenues en matière d’impayés futurs explique en partie l’hétérogénéité du montant de provisions.

Dans les résultats publiés par les banques européennes pour le second trimestre 2020, comment la norme IFRS 9 a-t-elle été appliquée ?

Alors que les taux de défaut sur les prêts bancaires n’augmentent guère pour le moment, IFRS 9 contraint les banques à constituer des provisions qui permettront de couvrir d’éventuels impayés futurs sur ces créances. Les banques calculent le montant de ces pertes éventuelles à partir de scénarios macroéconomiques. Dans ce domaine, IFRS 9 laisse une certaine latitude aux banques, sous réserve de validation par les auditeurs. Celles-ci ont été encouragées par les autorités de supervision (EBA, IAS Board…) à faire preuve de jugement dans la mise en œuvre des principes d’IFRS 9, de façon à éviter des effets potentiellement trop procycliques, par exemple en utilisant plusieurs scénarios afin de refléter de manière pertinente les prévisions de pertes futures et de les évaluer à partir d’une vision de moyen terme, tenant compte du rebond que la plupart des économistes prévoient pour 2021.

Toutefois, les montants provisionnés par les banques européennes sont, en moyenne, très importants au second trimestre. Mais les efforts de provisionnement peuvent être hétérogènes : nous pensons en effet que certains établissements ont eu tendance à provisionner de façon très conservatrice au premier semestre et auront beaucoup moins de provisions à constituer sur la seconde partie de l’année ; d’autres ont choisi de lisser davantage sur l’année leur effort de provisionnement ; la diversité des hypothèses retenues par les banques quant aux impayés futurs explique elle aussi l’hétérogénéité du montant de provisions.

Dans quelles proportions le coût du risque augmente-t-il ?

Nous pensons que, pour les banques françaises, ce coût sera multiplié par environ 2,5 sur l’année 2020 par rapport à l’année précédente : selon nos estimations, le montant des provisions sur leurs seules expositions domestiques devrait atteindre 15 milliards d’euros contre 6 milliards en 2019. Les résultats du premier semestre laissent imaginer une augmentation encore plus importante mais nous pensons que les niveaux de provisionnement vont, en moyenne, baisser légèrement au second semestre, si la croissance repart sur la seconde partie de l’année, ce qui reste aujourd’hui notre scénario central.

Du point de vue de la rentabilité, quels sont les établissements qui parviennent le mieux à surmonter la crise et ceux qui en souffrent le plus ?

Les banques situées dans les pays nordiques, où le confinement a été modéré, sont moins affectées par la crise. Les résultats des banques suédoises en particulier sont de bonne facture. Les établissements très orientés vers la gestion d’actifs et la gestion de fortune, comme UBS et Credit Suisse, ont également été peu touchés : leur activité de prêteur, qui induit des provisions, est finalement modeste par rapport à celle d’Asset Manager ou de gestionnaire de fortune. La diversification a un effet salvateur, comme le montrent également les résultats de BNP Paribas, dont la BFI a généré une augmentation des revenus.

Dans la catégorie des banques qui souffrent plus, on retrouve celles qui avaient déjà une forme de vulnérabilité avant la crise, comme Commerzbank (dont la note a été dégradée d’un cran à BBB+ en avril) qui souffrait déjà d’une faible rentabilité et de diverses restructurations stratégiques en cours.

De façon générale, la pression sur les revenus des banques les oblige à réduire leurs coûts de structure en traquant les inefficiences. Elles ont longtemps profité d’un coût du risque très bas, dont nous disions qu’il n’allait pas perdurer. Le niveau actuel du coût du risque est exceptionnellement élevé, mais les banques doivent être capables d’être rentables avec un coût du risque moyen, à travers le cycle.

Comment le ratio de solvabilité des banques européennes évolue-t-il ? Les autorités ayant réduit les exigences, les banques en profitent-elles ?

En effet, certains coussins de fonds propres, comme le countercyclical buffer, ont été supprimés, ou allégés, mais les ratios de solvabilité des banques européennes n’ont pas baissé pour autant ou très peu. L’objectif du superviseur est de permettre aux banques de remplir activement leur rôle de prêteur, en octroyant des prêts à un moment où certains secteurs économiques en ont besoin, ce qu’elles ont fait notamment via les mécanismes de prêts garantis par l’État. Mais encore faut-il que la demande de financements des ménages et des entreprises soit vigoureuse dans le temps. Certes, de nombreuses entreprises faisant face à des tensions sur leur trésorerie du fait de la crise cherchent à emprunter mais toutes n’étant pas pérennes, les banques ne peuvent pas satisfaire toutes les demandes et doivent surveiller aussi leur politique d’octroi, car le niveau moyen d’endettement des entreprises en France est déjà élevé. Parmi les entreprises en bonne santé et n’ayant pas un besoin immédiat de liquidités, nombre d’entre elles sont attentistes et suspendent leurs investissements. Quant à la demande de crédit immobilier, elle a subi un ralentissement pendant la période de confinement, tout comme celle de crédit consommation. Par ailleurs, les banques savent bien qu'une fois la crise passée, le superviseur veillera sûrement à ce que les coussins de capital libérés aujourd’hui soient reconstitués.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº847