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Rétrospective 2020

Les banques centrales armées face au Coronavirus

Créé le

14.12.2020

La crise liée à la Covid-19 est survenue alors que les principales banques centrales menaient déjà des politiques monétaires très accommodantes. Il était question de sortir de ces stratégies dont on craignait les effets pervers (par exemple, les taux très bas font fuir l’épargne vers l’immobilier ou encore maintiennent en vie des entreprises « zombies », qui ne survivent que par la dette bon marché). Mais les banques centrales n’avaient jamais vraiment réussi à mettre en œuvre la stratégie qu’elles avaient imaginée pour abandonner progressivement cette politique très accommodante. C’est dans ce contexte qu’à la fin du premier trimestre 2020 s’est abattue sur le monde occidental la crise sanitaire de la Covid-19. Qu’allaient bien pouvoir faire de plus les banquiers centraux ? N’avaient-ils pas déjà utilisé toutes leurs armes ? Leur marge de manœuvre sur les taux étant faible, voire nulle, les banques centrales ont surtout manié l’outil du « quantitative easing » (achats de titres sur le marché). Elles sont allées encore plus loin dans la voie ouverte par la Fed quand il s’agissait de contrer la crise financière de 2008 et alors qualifiée de « politique non conventionnelle ». Avec la Covid-19, le « non-conventionnel » est en passe de devenir la nouvelle normalité.

La Fed fut la première à frapper très fort en annonçant le 15 mars l’achat de titres pour 700 milliards de dollars soit 626 milliards d’euros.

Trois jours avant, la BCE n’avait mis sur la table « que » 120 milliards d’euros. Mais Christine Lagarde reprend la parole en fin de soirée mercredi 18 mars 2020 : cette fois, l’enveloppe est de 750 milliards d’euros qui s’inscrivent dans un nouveau programme, le Programme d’achat d’urgence pandémique (PEPP – Pandemic Emergency Purchase Program). L’un des enjeux spécifiques à la zone euro réside dans le risque de fragmentation (écartement excessif des taux auxquels empruntent les différents États) qu’elle encourt. L’enveloppe est donc entre autres utilisée pour éviter cette situation en achetant sur le marché notamment des titres de dette émis par les États dont les « spreads » [1] ont tendance à grimper comme c’est le cas de l’Italie.

Et pourtant, une phrase maladroite de Christine Lagarde, prononcée lors de la réunion du 12 mars avait fait douter les marchés de la détermination de la BCE à prévenir la fragmentation de la zone euro : elle avait affirmé que la BCE n’avait pas pour mission de réduire les spreads. Christine Lagarde a rapidement rectifié le tir lors d’une interview accordée à CNBC : « Je suis totalement engagée pour éviter toute fragmentation dans un moment difficile pour la zone euro. » Depuis, l’incident est oublié mais il a pu momentanément faire douter certains de la capacité de Christine Lagarde à faire face à la crise.

En fin d’année, le 10 décembre, une rallonge du PEPP a été décidée (voir article). 500 milliards viennent s’ajouter aux 750 milliards du 18 mars. Mais jusqu’où iront les banques centrales ? S. G.

 

Ils ont dit

Une maladresse regrettable

« La mise en place d’un outil puissant, le PEPP d’un montant de 750 milliards annoncé dans la nuit du 18 au 19 mars a eu un effet de marché immédiat. Cet outil est venu s’ajouter à des mesures introduites dès le 12 mars, notamment un TLTRO à un taux négatif pour les banques octroyant des prêts aux PME. Toutefois, lors de cette réunion du 12 mars, Christine Lagarde a commis une maladresse regrettable. On peut imaginer que son intention était de pousser les États à agir et à ne pas se reposer sur l’action de la BCE, mais il n’en demeure pas moins que sa phrase sur les spreads était très maladroite. » Nicolas Véron, économiste, Bruegel, Peterson Institute, Revue Banque n° 844, mai 2020. http://www.revue-banque.fr/risques-reglementations/breve/nicolas-veron-risque-un-reel-delitement-projet-eur

 

 

Baisse tendancielle du taux d’intérêt d’équilibre

« À nos yeux, la réponse d’urgence à la pandémie précipite des décisions qui selon nous allaient de toute manière finir par s’imposer aux banques centrales. Le redémarrage du QE en Europe préexiste à cette crise. En effet la difficulté structurelle à laquelle la politique monétaire fait face est la baisse tendancielle du taux d’intérêt d’équilibre, ou naturel, dans toutes les économies développées. En d’autres termes le taux d’intérêt « normal » lorsque l’économie est sur sa vitesse de croisière est plus bas qu’il y a dix ou vingt ans, ce qui veut dire que la probabilité d’être contraint par la « limite à zéro » sur les taux directeurs même en cas de choc relativement léger sur la croissance est plus élevée, ce qui en retour oblige à considérer plus fréquemment la nécessité d’une action non conventionnelle telle que le quantitative easing. » Gilles Moëc, chef économiste, Groupe AXA, Banque & Stratégie n° 390, avril 2020, p. 5. http://www.revue-banque.fr/risques-reglementations/article/monetisation-qui-annonce

 

La BCE et le rôle de prêteur en dernier ressort

« La BCE a finalement tout mis en œuvre pour assurer la stabilité du système financier et apporter son soutien à tous les agents économiques (« individus, familles, entreprises, banques et états ») les plus durement touchés par le coup d’arrêt entraîné par les mesures de confinement. La BCE assume désormais plus explicitement un rôle de prêteur en dernier ressort qu’elle avait jusque-là assuré à reculons, avec réticence, pour des raisons historiques. » Frederik Ducrozet, stratégiste, Pictet Wealth Management, Banque & Stratégie n° 390, avril 2020, p. 8. http://www.revue-banque.fr/risques-reglementations/article/changement-cap-christine-lagarde

 

La profitabilité du système bancaire en question

« Ces mesures – baisse de taux et politique d’achats d’actifs – ont été prises afin d’accroître le caractère expansionniste de la politique monétaire et avec l’objectif de pousser à la baisse l’ensemble des taux de marché et des taux bancaires. Ces décisions ont cependant été critiquées dans la mesure où elles pèseraient sur la profitabilité du système bancaire et pourraient alors s’avérer contre-productives pour soutenir l’activité de crédit. Ces critiques ont conduit la BCE à modifier l’application de cette politique en introduisant depuis le 12 septembre 2019 un système de paliers permettant d’exempter de taux négatif une partie des réserves excédentaires détenues par les banques. » Christophe Blot, économiste, Sciences Po-OFCE et Université Paris Nanterre, et Paul Hubert, économiste, Sciences Po-OFCE, Banque & Stratégie n° 390, avril 2020, p. 24. http://www.revue-banque.fr/risques-reglementations/article/les-banques-europeennes-face-aux-taux-negatifs

 

 

La courbe de Philips n’est pas totalement remise en cause

« Toutes les banques centrales font actuellement le même constat : la tendance de fond de l’inflation reste trop faible, bien inférieure à la cible de 2 %, malgré les politiques monétaires ultra-accommodantes. Mais la courbe de Philips – qui décrit la relation entre croissance économique, chômage et inflation – n’étant pas totalement remise en cause, les banques centrales espèrent toujours que leurs mesures vont finir par avoir un effet sur l’inflation ; dans ce cadre théorique, ce n’est qu’une question de temps. » Frederik Ducrozet, stratégiste, Pictet Wealth Management, Revue Banque n° 848, octobre 2020, p. 8. http://www.revue-banque.fr/risques-reglementations/breve/frederik-ducrozet-nouvelles-mesures-assouplissemen

 

Le droit de l’UE violé

« En affirmant qu’elle s’écarte de l’arrêt rendu le 11 décembre 2018 par la CJUE, la Cour de Karlsruhe viole manifestement le droit de l’Union européenne. En droit, la décision de la Cour constitutionnelle allemande ne peut pas s’imposer à la BCE. Et, selon moi, elle ne peut pas non plus s’imposer à la Bundesbank, au regard de l’article 130 du Traité sur le fonctionnement de l’UE : en sa qualité de banque centrale intégrée dans l’Eurosystème selon les statuts du SEBC, la Bundesbank est indépendante et ne peut pas recevoir d’instruction de la part d’une instance nationale. » Francesco Martucci, professeur, Université Panthéon-Assas (Paris II), Revue Banque n° 845, juin 2020, p. 6 (en ligne le 7 mai 2020). http://www.revue-banque.fr/risques-reglementations/breve/francesco-martucci-professeur-pantheon-assas-cour

 

1 Les écarts de taux auxquels empruntent les États de la zone euro.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº851
Notes :
1 Les écarts de taux auxquels empruntent les États de la zone euro.