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Solvabilité

Les actions du régulateur bancaire pour limiter l’impact d’IFRS 9

Créé le

02.10.2020

Dès le début de la crise sanitaire, les conséquences de la norme IFRS9 sur le coût du risque ont suscité l’inquiétude. Le régulateur bancaire européen a œuvré pour limiter l’impact du provisionnement IFRS 9 sur le ratio de solvabilité en cette période de crise. Les conséquences sur les établissements varient selon les typologies et la qualité des prêts accordés et selon les pays.

La pandémie de Covid-19 a des impacts majeurs sur l’économie, entraînant en particulier une dégradation significative du risque de crédit. Elle constitue ainsi le premier test grandeur nature pour les modèles de mesure du risque de crédit mis en place en 2018 pour IFRS 9. Parce que cette norme comptable conduit « mécaniquement » à une augmentation du montant des dépréciations pour risque de crédit, le régulateur prudentiel a prévu des dispositions atténuant son impact sur le ratio de solvabilité.

Nouvelle norme de comptabilisation du risque crédit

En 2014, en réponse à la crise financière de 2008, l'International Accounting Standards Board (IASB) a publié la version finale de la norme « IFRS 9 » de comptabilisation des instruments financiers en remplacement de la norme « IAS 39 ».

Cette norme, mise en application au 1er janvier 2018, comprend les trois phases suivantes :

– Phase 1 – Classification et évaluation des actifs financiers : cette phase conditionne l’application de la juste valeur ou du coût amorti en fonction du modèle de gestion des actifs et des flux contractuels ;

– Phase 2 – Provisionnement du risque de crédit : cette phase substitue au modèle de pertes encourues d’IAS 39 un modèle unique de dépréciation, prospectif, fondé sur les « pertes attendues » ;

– Phase 3 – Comptabilité de couverture : cette phase a pour objectif de mieux refléter la gestion des risques en comptabilité. Elle assouplit notamment les critères d’éligibilité et d’efficacité des couvertures.

Sur le volet « provisionnement du risque de crédit », la norme IAS 39, qui reposait sur une approche de dépréciations des pertes avérées, avait été pointée du doigt au moment de la crise financière, car elle semblait favoriser la « procyclicité ». En effet, elle traduisait dans les états financiers les conséquences d’un événement passé seulement après la constatation d’une indication objective de dépréciation (par exemple, un défaut de paiement). Ainsi, lors de la crise, il s’avéra que de nombreuses banques avaient des niveaux de provisions trop faibles pour absorber les défauts des emprunteurs (« too little too late »).

La phase 2 d’IFRS 9 a révolutionné le suivi du risque de crédit des banques, avec la mise en place d’une approche prospective des dépréciations pour risque de crédit. Cette approche est fondée sur un modèle de dépréciation des pertes attendues (« expected credit losses » ou ECL) : la dépréciation couvre dorénavant non seulement les pertes de crédit encourues, mais aussi tout ou partie des pertes futures attendues.

Les grands piliers de cette approche sont les suivants :

– estimation des pertes attendues : dès la comptabilisation initiale, les encours de crédits sains sont dépréciés sur la base des probabilités de défaut à un an et les encours qui ont subi une dégradation du risque de crédit sont dépréciés sur la base de probabilités de défaut à maturité. Les paramètres de calcul de l’ECL (probabilités de défaut, loss given default, exposure at default) sont des paramètres « point in time » ; en d’autres termes, ils doivent correspondre à la meilleure estimation des pertes attendues en date de clôture. À l’inverse, les « probabilités de défaut » dans le cadre de Bâle sont des paramètres « through the cycle », puisqu’elles correspondent à une moyenne de cycle ;

– définition de critères qualitatifs et/ou quantitatifs de dégradation significative du risque de crédit (SICR) : les contrats de crédit (prêts, obligations notamment) sont classés en étapes, suivant cette dégradation. À l’origine, l’instrument est d’entrée de jeu affecté d’une perte de valeur représentant les ECL pour les 12 mois à venir (pertes de crédit attendues à 12 mois, étape 1). En cas de détérioration significative du risque depuis l’origine, même si aucun incident de paiement n’est survenu, l’instrument se voit affecté d’une perte de valeur représentant les ECL pour la durée de vie (pertes de crédit attendues à maturité, étape 2). Il s’agit donc d’une approche relative de la dégradation par instrument, plutôt qu’une approche absolue basée sur le franchissement d’un seuil unique de risque. La détérioration relative doit être appréciée en amont de la survenance d’une défaillance avérée : la norme distingue donc les actifs financiers affectés d’une perte de valeur attendue sur la durée de vie (étape 2), de ceux qui sont dépréciés (défaillance avérée, étape 3) ;

– utilisation de données prospectives : il s’agit de prendre en compte le plus tôt possible les informations prospectives et les indicateurs macroéconomiques susceptibles d’affecter le profil de risque des contreparties. Les établissements doivent considérer une gamme de résultats possibles, et leurs probabilités respectives, pour l'évaluation des ECL, et exercer leur jugement lors de la détermination de ce qui constitue des informations prospectives raisonnables et justifiables.

Ce nouveau modèle de dépréciation élargit le périmètre de calcul des dépréciations aux encours sains de prêts, d’engagements de financements et de garanties données. Par conséquent, lors de sa mise en place, la norme IFRS 9 a entraîné une augmentation du montant des provisions et une réduction des fonds propres comptables disponibles.

Des mesures optionnelles pour une transition en douceur

Afin de limiter les impacts négatifs liés à la mise en œuvre de la norme IFRS 9 sur le ratio de solvabilité des banques, et plus précisément le ratio de CET 1 (fonds propres de base de catégorie 1), les autorités réglementaires européennes ont prévu des mesures transitoires optionnelles. Celles-ci permettent aux banques qui ont décidé d’y avoir recours au 1er janvier 2018 de réintégrer dans leurs fonds propres CET 1 une partie de l’augmentation des provisions IFRS 9.

Cette phase transitoire, ou phase-in, permettait aux banques d’inclure dans leurs fonds propres CET 1 une partie de l’augmentation des provisions pour pertes de crédits attendues, lorsque le bilan d’ouverture, au moment de la première application (First Time Application, FTA) d’IFRS 9, reflétait une augmentation des provisions nettes d’impôts par rapport au bilan de clôture en IAS 39. Le principe consistait à étaler l’impact de la hausse des dépréciations liées à la mise en œuvre d’IFRS 9 sur 5 ans : 95 % de la hausse des provisions inclus dans les fonds propres CET 1 en 2018, 85 % en 2019, 70 % en 2020, 50 % en 2021 et 25 % en 2022.

En pratique, les montants repris en CET 1 sont calculés en deux temps : de manière statique, sur la base du montant de la FTA au 1er janvier 2018, puis de manière dynamique pour les augmentations de dépréciations IFRS 9 constatées entre deux arrêtés (étapes 1 et 2). Les calculs ne sont pas identiques pour l’approche standard et l’approche avancée, sachant que dans les deux cas, ce phase-in ne peut s’appliquer que dans l’hypothèse d’un différentiel positif.

Les banques étaient libres d’appliquer, ou non, ces mesures transitoires optionnelles au 1er janvier 2018. Cependant, les établissements qui optaient pour cette possibilité avaient l’obligation de publier le calcul de leurs ratios prudentiels sans ces dispositions transitoires dans le cadre de leur Pilier 3.

Au Royaume-Uni, la PRA (Prudential Regulation Authority) avait dès 2018 explicitement demandé aux banques anglaises d’appliquer ces mesures transitoires. Ailleurs en Europe, en revanche, cette option n’a été que très peu suivie par les banques.

Mise en garde contre des effets amplificateurs en pleine crise sanitaire

Dans le contexte de la crise de Covid-19 et des incertitudes sur sa durée et ses conséquences, les régulateurs ont mis en garde contre le risque de prise en compte de manière trop mécanique des effets de la crise dans les calculs de dépréciation IFRS 9 ; en effet, les paramètres de calcul « point in time » de ces modèles s’appuient notamment sur des données prospectives et établissent des corrélations entre ces données et les niveaux de dépréciation. Le risque serait ainsi d’amplifier dans les calculs de dépréciation les effets de scénarios très dégradés à court terme.

Dans ce cadre, les régulateurs ont formulé un certain nombre de recommandations :

– l’ESMA a recommandé, dans le cadre de la mise en place des moratoires accordés à des débiteurs, de ne pas appliquer de dégradation systématique dans l’analyse du SICR (Significant Increase in Credit Risk), de prendre en compte les faits et circonstances afin de distinguer les problèmes de liquidité temporaires des dégradations de risque de crédit, de prendre en compte des évaluations de dépréciations sur base collective quand l’évaluation sur base individuelle est difficile. Sur l’utilisation de données prospectives, l’ESMA demande de suivre la recommandation de la BCE, et de pondérer plus fortement le scénario central de long terme qui s’appuie sur les données historiques, et de prendre en compte le bénéfice des politiques publiques de soutien ;

– l’IASB a recommandé aux entités de ne pas procéder à leurs calculs de dépréciation de manière mécanique, et d’exercer leur jugement, de tenir compte des effets de la crise du Covid19, mais également des mesures de soutien des gouvernements dans le calcul des ECL ;

– la Commission européenne a demandé aux banques, dans son communiqué du 28 avril 2020, d’utiliser pleinement la possibilité de jugement et la flexibilité qu’offre IFRS 9 afin de réduire tout impact injustifié de la crise de Covid-19 sur les dépréciations des banques. Elle a indiqué qu’une augmentation ponctuelle des probabilités de défaut ne devrait pas donner lieu à une dégradation des probabilités de défaut à maturité. Les banques sont également encouragées à mettre en place les dispositifs transitoires pour réduire les incidences des ECL IFRS 9 sur leurs fonds propres réglementaires.

Comment tout ceci s’est-il transcrit dans la communication financière des établissements bancaires européens, anglais et suisses au 30 juin 2020 ?

Pour leur calcul de dépréciations pour risque de crédit, les établissements ont, de manière générale, indiqué avoir suivi les recommandations des régulateurs, avec en particulier :

– le non-déclassement de manière systématique des prêts faisant l’objet de moratoires ;

– la pondération plus forte d’un scénario central macroéconomique de long terme ;

– la prise en compte des mesures de soutien des États.

Qu’en est-il de l’évolution du coût du risque au 30 juin 2020 ?

De manière assez prévisible, l’incertitude économique causée par la crise du Covid-19 a entraîné une hausse très significative du coût du risque pour les banques européennes et anglaises.

Si au 1er trimestre 2020, les modèles et les paramètres d’estimation des pertes de crédit attendues n’avaient pas été mis à jour, du fait du caractère récent de la crise et du volume limité des informations disponibles, l’actualisation des scénarios macroéconomiques réalisée par tous les groupes sur le deuxième trimestre les a conduits à accroître le provisionnement ex ante des pertes attendues par des compléments de dépréciations sur les secteurs très affectés par la crise.

Comme cela avait déjà été constaté au premier trimestre, pour les banques européennes, les niveaux de hausse des dépréciations sont très hétérogènes suivant les géographies. En comparant le 1er semestre 2020 au 1er semestre 2019, les multiples de dépréciation vont de plus de 2 en moyenne en France, à 5 pour le reste de l’Europe et la Suisse, et même à 6 au Royaume-Uni.

Il faut bien sûr garder à l’esprit qu’on parle ici de moyennes, avec des réalités très différentes par établissement, suivant les activités et la qualité des portefeuilles de prêts.

De manière générale, les banques qui avaient les taux de couverture sur encours de prêts (à savoir le ratio stock de provisions/prêts) les plus bas au 31 décembre 2019 ont souvent eu la plus forte augmentation au 30 juin 2020.

Élaboration en urgence d’un pack réglementaire

Pour alléger la pression réglementaire sur les banques, et leur permettre de continuer à financer l'économie réelle, la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil européen ont voté en urgence le 24 juin 2020 plusieurs amendements au règlement CRR, sous le nom de « Quick Fix », afin d’atténuer les impacts du Covid-19 sur le ratio de CET 1.

Les amendements mettent en œuvre certaines modifications ciblées, visant non seulement à absorber les pertes, mais également à accroître la capacité des établissements à octroyer des crédits aux salariés, aux PME et pour des projets d'infrastructure.

Ainsi, afin de limiter l’effet potentiel de la pandémie de Covid-19 sur la volatilité des dépréciations IFRS 9, le Quick Fix a rouvert la possibilité d’appliquer les dispositions transitoires IFRS 9, en apportant des évolutions à la méthode dynamique (augmentation de dépréciations IFRS 9 constatées entre deux arrêtés).

Si le texte ne modifie pas l’approche statique (montant de la FTA à la date d’ouverture), qui demeure telle que dans le texte d’origine (y compris les facteurs d’étalement et le calendrier appliqués pour l’effet statique), le Quick Fix distingue désormais deux approches dynamiques avec :

– une approche avant Covid, qui prend en compte la variation de dépréciation IFRS 9 entre le 1er janvier 2018 et le 1er janvier 2020, en appliquant un facteur d’étalement équivalent aux coefficients utilisés pour l’approche statique : 70 % en 2020, 50 % en 2021, 25 % en 2022, 0 % en 2023 et 0 % en 2024 ; et

– une approche après Covid, qui prolonge l’approche dynamique initiale avec des facteurs d’étalement plus favorables à compter du 1er janvier 2020 : 100 % en 2020, 100 % en 2021, 75 % en 2022, 50 % en 2023 et 25 % en 2024.

Le Quick Fix est applicable sur option dès le 30 juin 2020. Plusieurs banques ont communiqué sur l’effet des dispositions transitoires sur le ratio de CET 1, dont la moyenne fait apparaître un impact favorable de 34 points de base.

Sans surprise, les banques enregistrant le plus fort impact au niveau de leur ratio CET 1 sont celles dont le coût du risque de crédit a subi une forte progression au 30 juin 2020.

Afin de soutenir le plan de relance de l’économie, les différentes autorités recommandent de la flexibilité dans l’interprétation de la norme IFRS 9, tandis que le superviseur souhaite contenir ses effets sur le ratio de solvabilité. Les premiers impacts mesurés au 30 juin 2020 confirment la disparité des situations en fonction des juridictions, des types de prêts et de la qualité des portefeuilles. Il faudra encore attendre plusieurs semestres et la fin de la crise, avant de pouvoir en tirer des enseignements plus complets sur la résilience des établissements.

Achevé de rédiger le 14 octobre 2020

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº849
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