Effacer les dettes publiques

Automne 2020 : apr&egrave;s la sid&eacute;ration du printemps, la population occidentale vit un retour brutal au r&eacute;el. Les plans d&rsquo;urgence et de relance se succ&egrave;dent. Les dettes publiques grimpent. L&rsquo;argent semble sortir de nulle part, est-il magique ? Est-il simplement une avance sur nos revenus futurs qu&rsquo;il faudra un jour rembourser ? La magie &eacute;tant vite &eacute;cart&eacute;e, il ne resterait alors qu&rsquo;une seule alternative : une inflation ma&icirc;tris&eacute;e ou, apr&egrave;s un temps de stimulation budg&eacute;taire, le retour &agrave; la rigueur. Mais cette alternative que Jean-Claude Trichet, ancien pr&eacute;sident de la BCE, qualifie de paradigme [1] est-elle r&eacute;aliste et souhaitable ? Comment accepter que l&rsquo;inflation, cumul&eacute;e avec la politique mon&eacute;taire actuelle annonc&eacute;e comme durable, organise une spoliation des &eacute;pargnants et un blocage de la capitalisation au cœur des m&eacute;canismes de redistribution ou de solidarit&eacute; interg&eacute;n&eacute;rationnelle ? Comment accepter une rigueur budg&eacute;taire durable, qui, &agrave; cadre international inchang&eacute;, signifiera une quasi-stagnation en Occident et donc la poursuite des tendances observ&eacute;es depuis 10 ans, en particulier une accentuation des in&eacute;galit&eacute;s de toutes sortes ? Quel que soit le sc&eacute;nario, en interne le pacte social continuera sa d&eacute;gradation et, en externe, des tensions dangereuses s&rsquo;&eacute;tendront. Le tout favorisera des d&eacute;stabilisations dangereuses. Il n&rsquo;est donc pas &eacute;tonnant que, face &agrave; ces perspectives, la m&eacute;fiance des peuples se renforce et que les politiques peinent &agrave; convaincre. Pourquoi se trouve-t-on dans cette impasse ? Notre diagnostic est que la situation actuelle r&eacute;sulte principalement d&rsquo;une inadaptation de certains principes d&rsquo;organisations au cœur du dispositif global. Il n&rsquo;est plus utile de discuter de modalit&eacute;s techniques ou juridiques. Il faut travailler sur ces principes. Car le syst&egrave;me &eacute;conomique n&rsquo;est pas une donn&eacute;e naturelle. C&rsquo;est un dispositif construit, pens&eacute; et con&ccedil;u pour organiser la production et son financement au travers d&rsquo;une monnaie et d&rsquo;un syst&egrave;me financier. Global, il repose sur deux piliers, le commerce international, et le syst&egrave;me mon&eacute;taire international (SMI). Aujourd&rsquo;hui, comme dans l&rsquo;apr&egrave;s-guerre, la question mon&eacute;taire revient au cœur des d&eacute;bats et avec elle la pertinence de l&rsquo;organisation de la cr&eacute;ation mon&eacute;taire et de la gestion de la monnaie. Les banques centrales elles-m&ecirc;mes sont responsables de ce retour sur un sujet que l&rsquo;on croyait trait&eacute; depuis longtemps. Car, avec les politiques non conventionnelles, le syst&egrave;me n&rsquo;a plus qu&rsquo;une unique r&eacute;ponse et elle est mon&eacute;taire : toujours plus de dettes publiques et de cr&eacute;ation mon&eacute;taire, et ce, malgr&eacute; douze ans d&rsquo;inefficacit&eacute; de telles mesures. Sans r&eacute;flexion sur la question mon&eacute;taire on ne peut pas discuter des enjeux de telles politiques. Et ce temps ne semble pas encore venu. Ainsi, lorsque l&rsquo;annulation de la dette publique est devenue un sujet de controverses en fin d&rsquo;ann&eacute;e [2] , peu d&rsquo;intervenants pouvaient expliquer par quel myst&egrave;re on cr&eacute;ait autant de dettes publiques si rapidement (et pourquoi c&rsquo;&eacute;tait acceptable). Lorsqu&rsquo;ils &eacute;taient hostiles &agrave; cette op&eacute;ration ils n&rsquo;&eacute;taient pas plus nombreux &agrave; exposer clairement pourquoi ils la refusaient sans faire appel &agrave; des arguments d&rsquo;ordre juridique (ce n&rsquo;est pas l&eacute;gal), ou sans utiliser des images ou des termes plus faits pour convaincre que pour prouver. Pourquoi un tel blocage ? La r&eacute;ponse est l&rsquo;existence d&rsquo;un consensus unanime sur des repr&eacute;sentations sp&eacute;cifiques des ph&eacute;nom&egrave;nes mon&eacute;taires. Ce n&rsquo;est pas le lieu de le d&eacute;crire ici, citons que l&rsquo;assimilation des dettes publiques &agrave; des dettes agents &eacute;conomiques ordinaires en fait partie. On peut suivre l&rsquo;&eacute;mergence de ce consensus et son d&eacute;veloppement d&rsquo;abord aux &Eacute;tats-Unis dans les ann&eacute;es 1950-1970 et son extension au reste du monde. Ce consensus est si bien int&eacute;gr&eacute; dans quasiment tous les esprits qu&rsquo;il est devenu pour le plus grand nombre une &eacute;vidence. Il constitue les fondations intellectuelles ou le cadre conceptuel (conceptual framework) de la justification scientifique de mod&egrave;les th&eacute;oriques et techniques, et par l&agrave; des organisations. Et cette justification a &eacute;t&eacute; valid&eacute;e par les pairs par les moyens habituels : articles publi&eacute;s dans des revues ad hoc, auteurs prim&eacute;s, par exemple des prix Nobel [3] , etc. Ainsi, le syst&egrave;me mon&eacute;taire actuel, construit rationnellement en se fondant sur ce consensus, parait donc logiquement sans alternative cr&eacute;dible. M&ecirc;me en cas de dysfonctionnements av&eacute;r&eacute;s, personne ne pense &agrave; mettre en cause le consensus. Les responsables &eacute;conomiques et politiques sont alors logiquement bloqu&eacute;s, car ils assimilent &agrave; tort des r&egrave;gles d&rsquo;action issues de ce consensus &agrave; des lois physiques immuables et intransgressibles. Changer ces r&egrave;gles lorsqu&rsquo;elles sont inadapt&eacute;es leur est intellectuellement impossible. Et ce d&rsquo;autant que les paradigmes en cause fondent leurs propres pouvoirs. Et, &eacute;videmment, ces attitudes sont renforc&eacute;es par l&rsquo;action de certains qui profitent de la situation actuelle. Une r&eacute;forme &agrave; deux axes C&rsquo;est donc une r&eacute;forme mon&eacute;taire fond&eacute;e sur une r&eacute;novation du consensus qui para&icirc;t de plus en indispensable pour sortir par le haut de la crise actuelle. Cette r&eacute;forme devrait avoir deux axes [4] . 1. Le traitement du pass&eacute; par l&rsquo;effacement de montants significatifs de dette publique, mais sans d&eacute;truire la masse mon&eacute;taire correspondante. C&rsquo;est possible, car les dettes publiques ne sont pas des dettes ordinaires, l&rsquo;Etat n&rsquo;est ni une entreprise, ni un m&eacute;nage, il repr&eacute;sente la collectivit&eacute;. Or lorsque l&rsquo;on se souvient que la monnaie est elle-m&ecirc;me un cr&eacute;dit que se donne la collectivit&eacute; &agrave; elle-m&ecirc;me, monnaie et dette publique sont en fait deux expressions particuli&egrave;res d&rsquo;une m&ecirc;me r&eacute;alit&eacute;, le cr&eacute;dit collectif n&eacute;cessaire pour faire fonctionner une &eacute;conomie. On peut donc passer de l&rsquo;une &agrave; l&rsquo;autre sans contrevenir &agrave; cette r&eacute;alit&eacute;. Mais alors il faut se lib&eacute;rer, comme cela vient d&rsquo;&ecirc;tre dit, des conventions utilis&eacute;es pour construire ce syst&egrave;me de gestion de cette r&eacute;alit&eacute; qui se r&eacute;v&egrave;le aujourd&rsquo;hui inadapt&eacute;. Cet effacement peut se faire au sein de la Banque centrale et concerner des dettes publiques d&eacute;tenues ou rachet&eacute;es pour &ecirc;tre effac&eacute;es [5] . Cette op&eacute;ration est n&eacute;cessaire pour donner les moyens budg&eacute;taires pour adapter l&rsquo;&eacute;conomie &agrave; la situation pr&eacute;sente mais elle n&rsquo;est pas suffisante. 2. Pour le futur, l&rsquo;am&eacute;lioration de la ma&icirc;trise de la cr&eacute;ation mon&eacute;taire dans ses deux canaux : les d&eacute;ficits publics et les cr&eacute;dits bancaires. C&rsquo;est indispensable car les m&eacute;canismes en place depuis cinquante ans pour r&eacute;guler n&rsquo;ont pas &eacute;t&eacute; efficaces pour contenir l&rsquo;endettement public et priv&eacute; sur des niveaux soutenables. Il faut les modifier. Nous le savions depuis 2008, mais le choix fut alors de repousser les r&eacute;formes en adoptant les politiques non conventionnelles. Or, de telles r&eacute;formes seraient int&eacute;ressantes pour les banques elles-m&ecirc;mes car on peut y trouver des moyens de refonder leur mod&egrave;le &eacute;conomique, d&rsquo;all&eacute;ger les contraintes qui p&egrave;sent sur elles et de renforcer leurs capacit&eacute;s de financement des entreprises. Mais pour &ecirc;tre vraiment efficace et concourir &agrave; l&rsquo;installation d&rsquo;un ordre &eacute;conomique plus stable, cette r&eacute;forme mon&eacute;taire interne &agrave; la zone mon&eacute;taire doit &ecirc;tre soutenue par une correction des d&eacute;s&eacute;quilibres externes entre les grandes zones mon&eacute;taires et qui sont &agrave; l&rsquo;origine de l&rsquo;endettement global par : &ndash; le r&eacute;&eacute;quilibrage mondial de la consommation et de la production de biens et services ais&eacute;ment reproductibles et de leurs valeurs ajout&eacute;es. Cela passera par la d&eacute;concentration et la relocalisation d&rsquo;une partie de cette production. Cela n&eacute;cessite de revisiter le dispositif ricardien qui justifie actuellement le commerce international de fa&ccedil;on financi&egrave;re pour y int&eacute;grer des crit&egrave;res extra-financiers, sociaux, environnementaux et climatiques et en prenant en compte la dimension li&eacute;e aux mouvements de capitaux qui en est absente ; &ndash; le retour &agrave; un Syst&egrave;me mon&eacute;taire international v&eacute;ritablement r&eacute;gulateur, adapt&eacute; au caract&egrave;re multipolaire de l&rsquo;&eacute;conomie mondiale. Cela impose une r&eacute;duction tr&egrave;s forte des r&eacute;serves de change et la limitation drastique des accords de change. Vastes projets, certes, mais, de notre point de vue, pour les mettre en œuvre, ils d&eacute;pendent moins d&rsquo;une hypoth&eacute;tique gouvernance mondiale sage et &eacute;clair&eacute;e, que de l&rsquo;existence d&rsquo;une action r&eacute;solue face &agrave; une r&eacute;alit&eacute; qui &eacute;mergera n&eacute;cessairement, &agrave; cause du caract&egrave;re inacceptable de l&rsquo;impasse conceptuelle et organisationnelle actuelle. En fait, le plus difficile sera de modifier l&rsquo;attitude des gouvernants actuels o&ugrave; l&rsquo;important n&rsquo;est plus de pr&eacute;voir, mais de r&eacute;agir. Il sera dur de modifier une construction sociale o&ugrave; le pr&eacute;sent et ses difficult&eacute;s dominent logiquement dans les crit&egrave;res de d&eacute;cision car le mod&egrave;le est devenu la machine autor&eacute;gul&eacute;e avec des process bien d&eacute;finis et des r&eacute;sultats certains ; o&ugrave; la technique impose donc sa vitesse et sa vision d&rsquo;un futur port&eacute; par le mod&egrave;le th&eacute;orique sous-jacent, et donc la d&eacute;cision &agrave; prendre. Cette attitude, combin&eacute;e au &laquo; souci exclusif de la protection des valeurs en capital existantes [6] &raquo;, a conduit &agrave; faire compenser toutes pertes d&egrave;s que ces pertes peuvent &ecirc;tre pr&eacute;sent&eacute;es comme ayant des effets au-del&agrave; des seuls pr&ecirc;teurs et emprunteurs. Et de ce fait, tout mouvement de r&eacute;&eacute;quilibrage se trouve bloqu&eacute;, et cela a rendu, h&eacute;las, cr&eacute;dible l&rsquo;objectif irr&eacute;aliste de croissance continue sans retournement cyclique dont l&rsquo;existence est indispensable pour r&eacute;&eacute;quilibrer des tendances r&eacute;guli&egrave;rement incompatibles. 1 Philippe Dessertine (dir.) Dettes publiques : potion magique ou poison, Cercle Turgot, &eacute;ditions T&eacute;l&eacute;maque, 2020, p. 12. 2 Voir note de la DG Tr&eacute;sor, les articles du Figaro, Les &Eacute;chos, etc. 3 Pour l&rsquo;&eacute;conomie, ce n&rsquo;est pas un prix Nobel, stricto sensu, mais du prix en sciences &eacute;conomique de la banque de Su&egrave;de en l&rsquo;honneur d&rsquo;Alfred Nobel. 4 Cf. op. cit. 5 Cf. op. cit., voir en annexe un exemple de modalit&eacute;s. 6 Souci jug&eacute; dangereux par Joseph Schumpeter cf. chapitre 10 de Capitalisme, socialisme et d&eacute;mocratie, Payot, 1963.

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Effacer les dettes publiques

Les principes et règles qui dominent le système économique actuel ne sont pas des données naturelles et doivent être changés. Pour sortir des crises et éviter la rigueur, il faudrait annuler massivement des dettes publiques détenues par la BCE et revoir le système monétaire international.

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