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Rencontre avec... Olivier Sichel, directeur général délégué de la Caisse des Dépôts et directeur de la Banque des Territoires

« Nous saurons nous ajuster à l’évolution des usages et des technologies »

Créé le

20.11.2023

-

Mis à jour le

14.12.2023

Fin septembre, la Caisse des Dépôts (CDC) a détaillé sa feuille de route : 100 milliards d’euros sur cinq ans, pour financer la transformation écologique du pays. Comment cette somme va-t-elle être utilisée ?

Le montant se répartit essentiellement entre deux acteurs du groupe, la Banque des Territoires et Bpifrance, qui mobilisent ensemble les deux tiers (66 %) des 100 milliards d’euros, aux côtés de la direction de la gestion d’actifs ainsi que du groupe La Poste (avec La Banque Postale et CNP Assurances), Transdev, Icade, GRTgaz, etc.

D’où proviennent les ressources pour La Banque des Territoires ?

Nous avons deux sources. D’abord le Livret A pour la rénovation des écoles – le programme EduRenov recense 10 000 établissements à accompagner et/ou financer d’ici à 2027 – et des logements sociaux, mais ces bailleurs sont des professionnels de l’immobilier et ce parc est en meilleur état que le privé.

La seconde source provient de la section générale de la CDC (fonds propres, dépôts des notaires, et conservations des avoirs, notamment les avoirs en déshérence dans les établissements financiers) pour les investissements dans le photovoltaïque, les éoliennes offshore ou les infrastructures de recharge des véhicules électriques. Ce segment est assez dynamique et nous avons déjà financé 100 000 bornes. Et il nous faudra suivre le déploiement du véhicule électrique, mais c’est un peu la poule et l’œuf... La question ne se pose pas pour les maisons individuelles ou les autoroutes ; en revanche, les copropriétés peuvent bloquer lorsqu’il s’agit d’investir pour la recharge des voitures électriques utilisées seulement par une partie des copropriétaires. Il y a près d’un an, nous avons donc créé une filiale à 100 %, Logivolt, qui mobilise aujourd’hui 300 millions d’euros (M€). Logivolt intervient en tiers investisseur par le préfinancement des infrastructures électriques collectives (câblage, disjoncteur, etc.) nécessaires à l’équipement des parkings, en répercutant le coût sur les seuls utilisateurs de bornes de recharge, au fur et à mesure de leur raccordement. 3 000 syndics ont déjà passé commande.

La CDC s’engage sur 20 milliards par an, 67 % de plus qu’auparavant sur cinq ans. Cela sera-t-il suffisant ou faudra-t-il de nouveau accroître l’enveloppe ?

Nous saurons nous ajuster à l’évolution des usages, comme des technologies. Chez Transdev (filiale à 66 % de la CDC, ndlr) aux Pays-Bas, 552 bus de la flotte sont électriques, les autres roulent à l’hydrogène. Alors, cela peut-il changer en fonction des innovations ? L’objectif est d’abord de lever les blocages ou de les contourner avec le soutien de l’écosystème.

Votre nouvelle directrice du département Finances, qui entre en fonction ce 1er décembre, a travaillé dix ans chez Suez. La Banque des Territoires doit-elle se doter de nouveaux profils, avec une expérience ou une formation non financière comme la gestion de l’eau ou des déchets ?

Sur le modèle de la CDC, la Banque des Territoires a rassemblé les directions financières et extra-financières lors de sa création en 2018. Ainsi, Florence Deram succède à Sarah Lacoche, qui était précédemment directrice du développement durable d’Action Logement groupe et qui dirige aujourd’hui la DGCCRF.

Nos prêts et investissements sont étudiés à la fois selon une grille financière classique et les trois critères environnementaux, sociétaux et de gouvernance (ESG). Cela peut d’ailleurs nous conduire à écarter certains dossiers rentables à cause d’une cotation ESG insuffisante, en termes d’impact sur la biodiversité, par exemple. Nous nous reposons sur une méthode interne qui nécessite le recours à des experts, pour calculer les émanations de carbone, mener les due diligences sur l’honorabilité des contreparties ou l’impact sur l’emploi.

Nous avons besoin de ces compétences mais aussi de données extra-financières. Nous les demandons à chaque projet et pouvons aussi nous appuyer sur la plateforme publique Impact, sur laquelle les entreprises sont invitées à fournir des données, consécutivement à la directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive).

Vous avez cité la biodiversité. La protéger est un des axes d’engagement de la CDC, au même titre que l’amélioration du logement, du transport ou de la gestion des ressources en eau. Comment la Banque des Territoires intervient-elle sur ce dernier sujet ?

Nous proposons surtout des prêts aux collectivités locales pour la rénovation des réseaux d’eau, dont certains sont très anciens et abîmés. Pour ces « Aqua Prêts » à 40 ans, même si les maires sont parfois réticents à s’endetter sur le long terme, nous avons financé de grands projets. À Nice, par exemple, la Régie Eau d’Azur a ainsi sollicité la Banque des Territoires pour financer la construction de la station d’épuration Haliotis 2, pour un montant de 600 M€ sur 40 ans. Les travaux vont débuter au second semestre 2024, pour se terminer par tranches, entre 2025 et 2030. Alors que l’équipement actuel ne permet que la récupération, ce futur complexe de traitement des eaux usées va permettre une valorisation thermique des eaux usées traitées et des boues séchées, la production de biométhane ainsi que la production d’énergie électrique, grâce à des panneaux photovoltaïques. Elle va ainsi produire cinq fois plus que ses besoins d’énergie et, dès lors, en revendre à GRTgaz. De fait, il n’y a aujourd’hui pas de problème d’eau à Nice et alentours. Mais dans 10 ou 20 ans, la situation sera tout autre. Haliotis 2 fournira alors une nouvelle ressource d’eau pour l’arrosage, le nettoyage des espaces publics, etc. En Israël, 87 % des eaux usées sont réutilisées, principalement à des fins agricoles, contre 0,5 % en France et 20 % en Espagne.

Plus haut dans les Alpes Maritimes, nous avons fondé Arianeo avec Veolia (actionnaire à 90 %) pour mener les travaux de modernisation de l’usine actuelle de valorisation énergétique. L’incinérateur de déchets, dont Willemotte est architecte, sera livré en 2026 et alimentera le chauffage urbain.

La Banque des Territoires parvient-elle à entraîner d’autres acteurs financiers ?

Avec les prêts à 40 ans que nous proposons, dont le taux est fixé par Bercy, nous allons là où il y a des failles de marché. En tant qu’investisseur, nous sommes toujours dans une démarche d’ouverture. Nous travaillons beaucoup avec l’écosystème local et les banques régionales de plein exercice. C’est le cas par exemple auprès de la société mixte d’équipement des Pyrénées-Atlantiques pour répondre à son besoin de foncier en vue d’installer des industries. Nous avons ainsi participé à la création de la Foncière des Pyrénées-Atlantiques, qui sera effective début 2024, aux côtés du Département, de la Région, mais aussi d’Arkéa et de la Caisse d’Épargne. Avec 4,9 M€ de capital et une capacité d’investissement de 14 M€, la foncière pourra acquérir et réhabiliter des locaux à vocation économique et y installer des entreprises (où produire du ciment bas carbone, par exemple) qui en seront les locataires. En parallèle, nous avons participé à l’augmentation de capital de la SEPA : plus de 5,7 M€ pour lui donner la capacité d’investir dans la création de la filiale, aux côtés du Conseil départemental, d’intercommunalités et des banques Arkéa, Crédit Agricole et Crédit Coopératif.

Notre levier dépend aussi beaucoup de la capacité à fédérer autour d’un projet sur un territoire. La Banque des Territoires dispose de 37 implantations où sont prises 90 % des décisions de prêts et la moitié des décisions d’investissement.

Propos recueillis par Sylvie Guyony,
le 10 novembre 2023.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº886
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