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L’interview de Jean-Louis Schirmann, Chief Executive Officer, European Money Markets Institute (EMMI)

« Nous cherchons à alléger le coût de l’Euribor pour les banques »

Créé le

27.11.2023

-

Mis à jour le

04.01.2024

L'EMMI a ouvert sa « Consultation Euribor 2023 » du 11 octobre au 11 décembre. Son feedback paper devrait être publié fin février, début mars 2024. Jean-Louis Schirmann aborde les changements qui pourraient être apportés à la méthodologie de calcul de l'Euribor.

Comment se comporte l’Euribor dans le contexte actuel de hausses des taux et d’émergence dans le monde des taux sans risque et des taux de repli ?

Depuis que les taux directeurs de la Banque Centrale Européenne (BCE) ne sont plus en territoire négatifs et qu’ils ont fortement augmenté, l’activité sur le marché monétaire en zone euro s’est significativement améliorée. Il y a beaucoup plus de transactions et de surcroît beaucoup plus de transactions que les banques du panel de l’Euribor peuvent identifier et soumettre à l’EMMI pour le calcul des montants éligibles à la méthodologie hybride.

Cela s’est traduit par une explosion des volumes de transactions, plus particulièrement des transactions qui sont éligibles aux niveaux de contributions 1 et 2 de la méthode de calcul. La première catégorie inclut les transactions non sécurisées dites « en blanc » respectant nos critères d’éligibilité, qui comprend notamment le seuil minimum de taille des transactions de 10 millions d’euros. L’Euribor étant publié sur des maturités d’une semaine, d’un mois, de trois mois, de six mois et de 12 mois, la seconde catégorie inclut des techniques de calcul spécifiques. Celles-ci sont basées sur des transactions éligibles de maturités adjacentes à celles de l’Euribor et auxquelles sont appliqués des calculs d’interpolation linéaire (niveau 2.1), sur des transactions de maturités non définies (niveau 2.2) et sur des transactions de dates antérieures (niveau 2.3). Selon nos indicateurs de transparence du mois de septembre 2023, les niveaux 1 et 2 ont atteint, toutes maturités confondues, un volume total de 167 milliards d’euros, à comparer à 102 milliards d’euros en septembre 2022 et 89 milliards d’euros en août 2022.

Cette hausse des deux premiers niveaux explique également le fait que le niveau 3 soit moins utilisé par les banques qu’auparavant. Dans cette dernière catégorie, chacune des 19 banques contribuant à la détermination de l’Euribor fournit à l’EMMI sa contribution qui peut être basée sur des données de transactions non-éligibles aux niveaux 1 et 2 et qu’elle a identifiées selon sa propre méthodologie. Ces contributions doivent refléter sa situation intrinsèque et être représentatives de son coût de financement. Les différents modèles utilisés peuvent par exemple corriger les transactions par le delta des swaps ou l’évolution des futures ou s’appuyer sur des transactions inférieures à 10 millions. Certaines banques choisissent de soumettre les transactions issues de cotations engagées (committed quotes) ou celles faites au taux du marché avec des entreprises. Lorsque l’on regarde l’usage qui est fait des contributions des banques, on constate que la part du niveau 3 a significativement baissé, représentant en août 2023, sur les maturités 1 semaine et 1 mois, 36 % et 33 %, contre 65 % et 69 % en juin 2020.

Quant à l’émergence dans le monde des taux sans risque et des taux de repli (taux fallback), elle n’a pas de répercussion en termes de contributions ou d’activité pour l’Euribor, comme l’illustrent les volumes de transactions record depuis 2013 en mars dernier enregistrés par les futures et des options sur Euribor sur ICE Futures. Son adoption comme référence de marché dans les produits financiers reste large. Il n’y a pas eu de diminution de son utilisation.

Les modifications envisagées par l’EMMI viennent-elles résoudre des soucis dans la fiabilité de l’Euribor ?

Il n’y a absolument pas de problème de fiabilité de l’Euribor. Bien au contraire. Les méthodologies que l’on a utilisées au fil des années ont montré que, dans toutes les périodes de marchés, les taux négatifs, la crise du Covid-19, durant laquelle il n’y avait quasiment pas de transactions, l’inflation, les anticipations de hausses de taux, les hausses effectives de taux, les épisodes de guerre en Ukraine et de crise des secteurs bancaires américain et suisse de mars, l’Euribor a su parfaitement refléter l’évolution du marché monétaire et a fait preuve de résilience.

Pourquoi changer dans ce cas ?

Ces changements proposés par l’EMMI, qui a agi de sa propre initiative et qui ne sont pas le fruit d’une demande formulée par les régulateurs, s’appuient sur le retour d’information que l’on a eu des banques du panel et de celles qui auraient aimé le rejoindre. Dans le niveau 3, les établissements contributeurs doivent mettre en place leur propre méthodologie, ainsi que des systèmes de contrôle et de gestion des risques. Cela représente pour eux un coût opérationnel et financier non négligeable. Le niveau 3 se caractérise ainsi par une grande hétérogénéité puisque les 19 banques ont toutes recours à des méthodologies différentes. Celles ne faisant pas partie du panel nous ont indiqué qu’en dépit de la fiabilité du taux Benchmark, qu’elles apprécient d’utiliser, les contraintes et les coûts liés à la mise en place et à la maintenance d’une méthodologie de niveau 3 représentent un coût d’entrée très fort qui les dissuade de rejoindre le panel. Nous cherchons à alléger le coût pour les banques du panel et à attirer de nouvelles banques en facilitant son entrée, nous proposons de supprimer le niveau 3, dont les contributions rentreront dans le niveau 2.3, qui sera reformulé. Ce dernier prend actuellement en compte des transactions de niveau 1 faites dans les cinq derniers jours, qui sont ensuite corrigées d’un « facteur d’ajustement de marché » mesurant le mouvement global des taux d’intérêt depuis la contribution de niveau 1 et la date actuelle. Le facteur étant basé sur l’évolution des contrats futures ICE Euribor 3 mois dont les maturités sont trimestrielles (mars, juin, septembre, décembre) et ne correspondent pas exactement aux maturités de l’Euribor, cela nous oblige à effectuer des interpolations.

Nous proposons tout d’abord d’élargir le niveau 2.3 aux contributions de niveau 2 de transactions antérieures que l’EMMI considère comme des représentations précises du coût de financement des banques. Lorsque nous avons lancé la consultation publique, en 2018, sur la méthodologie hybride de calcul de l’indice, nous avions indiqué avoir choisi, pour le calcul du facteur d’ajustement de marché, la courbe des contrats à terme Euribor comme référence car nous ne disposions pas à l’époque de taux de référence pouvant être considéré comme « sans risque » et observer les mouvements sur le marché des swaps de taux OIS (Overnight Indexed Swaps). Nous avions indiqué que le jour où il y aurait un benchmark sur les swaps OIS, nous l’utiliserions. C’est le cas aujourd’hui avec le taux de repli de l’Euribor, l’Efterm (Euro Forward Term Rate) qui est basé sur les données de marché disponibles sur les swaps OIS indexés sur le taux Ester (€STR) à court terme en zone euro de la BCE et que nous avons lancé en novembre 2022. Nous préconisons d’utiliser ce taux de référence prospectif qui, en plus de donner chaque jour la situation des taux OIS dans le marché, est calculé exactement sur les mêmes maturités que celles de l’Euribor.

Afin d’intégrer au facteur d’ajustement de marché une composante visant à saisir les variations quotidiennes du risque de crédit perçu dans l’économie et de mesurer les tensions dans le secteur financier, nous ajoutons une composante de crédit. Cette dernière est mesurée par l’écart entre le taux Euribor et le taux Efterm calculable quotidiennement et vient capturer tous les ajustements nécessaires pour refléter l’évolution du marché, même si une banque n’a pas réalisé de transactions.

Étant donné que nous n’avons plus besoin de faire des interpolations ou des hypothèses sur la forme de la courbe des taux, nous ne fixons pas de limite de jours pour aller un peu plus en arrière que les cinq derniers jours de transactions. Avec cette méthodologie revisitée, le niveau 2.3 pourra être calculé pour n’importe quelle banque tous les jours, si besoin, et refléter les mouvements de taux tout en restant ancré dans les transactions.

Avec ces modifications, l’Euribor sera-t-il de meilleure qualité ?

Les résultats de nos simulations et de nos back testings montrent une corrélation entre l’Euribor actuel et le futur Euribor de presque 100 % sur les trois dernières années. Les ajustements proposés apportent de la facilité aux banques et de l’harmonisation et de la transparence à la méthodologie hybride. Les modifications ne devraient donc pas mettre en danger la représentativité de l’Euribor, ni sa fiabilité. Nous avions déjà un indice fort et robuste qui restera sur les mêmes niveaux de qualité après ces modifications. Nous faisons tout pour que le taux de référence réponde au mieux aux besoins des utilisateurs et à la demande. Sa résilience et sa pérennité restent toujours notre objectif premier. D’ailleurs, le marché en Europe et les utilisateurs veulent que l’Euribor continue.

Pourquoi consultez-vous le marché ?

Nous le consultons car le fait d’enlever un niveau de contribution dans la méthodologie hybride n’est pas un changement mineur. Même s’il n’est pas aussi majeur que le changement en 2019 de la méthodologie basée sur les cotations en méthodologie hybride, celui envisagé aujourd’hui est tout de même matériel. Ces deux dernières années, nous avons procédé à de petites modifications à l’issue de nos revues de la méthodologie imposée par la réglementation, par exemple l’abaissement de 20 à 10 millions d’euros du montant minimum de transactions pour contribuer au niveau 1 et qui ne nécessitait pas de consulter les acteurs de marché.

La consultation publique clôturant le 11 décembre 2023, après analyse des retours des acteurs de marché, nous communiquerons les résultats vers la fin février 2024 et commencerons à détailler la mise en place de la méthodologie modifiée. Si tout se passe comme prévu, cette dernière devrait être initiée vers la fin de la première moitié de 2024. À l’instar de l’instauration de la méthodologie hybride en 2019, le nouveau système sera implémenté de manière graduelle.

Quelles sont vos attentes ?

Les banques qui contribuent à la détermination de l’Euribor seront probablement satisfaites avec ces changements, qui impliqueront moins de coûts opérationnels et financiers. L’une de nos grandes attentes est d’attirer d’autres banques pour diversifier un peu plus la distribution géographique du panel des contributeurs. Celui-ci est actuellement composé de 19 banques depuis que la banque autrichienne Raiffeisen Bank l’a rejoint en septembre 2022. S’il est déjà bien représentatif de toute l’activité du marché monétaire en zone euro, nous avons très bon espoir que d’autres banques décident de le rejoindre, une fois que la méthodologie revisitée sera opérationnelle. Les banques nordiques font partie des entités que nous ciblons. Nous n’avons pas de banques irlandaises, ni de banques grecques. Il y a encore de la place pour une banque allemande (Deutsche Bank et DZ Bank font partie du panel, ndlr).

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº887-888
Forte poussée des volumes des transactions éligibles aux niveaux 1 et 2
$!« Nous cherchons à alléger le coût de l’Euribor pour les banques »
Le calcul de l’Euribor repose davantage sur les niveaux 1 et 2
$!« Nous cherchons à alléger le coût de l’Euribor pour les banques »
Vers des changements matériels de la méthodologie hybride
$!« Nous cherchons à alléger le coût de l’Euribor pour les banques »
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