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Pilotage bancaire : vers des plateformes de planification financière et de stress-test

Créé le

18.09.2018

-

Mis à jour le

08.04.2019

Les plateformes intégrées de planification financière et de stress-test s’imposent comme une révolution des pratiques budgétaires et de gestion des risques. Elles permettent de construire des modèles de projection des résultats établis sur des méthodes statistiques, au même titre que les modèles de risques, permettant d’exploiter au mieux le flux croissant de données disponibles*.

La planification financière et les tests de résistance (stress-tests) sont deux composantes historiques de la gestion bancaire. La planification financière s’appuie traditionnellement sur des modèles simples déclinés sous la forme d’analyses de création de valeur et d’indicateurs de performance, et repose rarement sur des analyses statistiques. De même, la conduite de stress-tests n’est pas un sujet nouveau pour les établissements bancaires français. Les premiers exercices de stress-tests apparaissent dès les années 1990, en lien avec le développement de nouveaux outils de gestion du risque tels que la Value at Risk. Les stress-tests, mesurant l’impact de scénarios sévères mais plausibles sur la profitabilité et la solvabilité des banques, sont alors menés ponctuellement sur des portefeuilles isolés. Le rôle des stress-tests s’est ensuite vu renforcé par la mouvance réglementaire des années 2000 et les accords dits de Bâle II qui les désignent, au sein du Pilier 2, comme un outil de pilotage de la solvabilité des établissements. Depuis les crises financières de 2008 et souveraine de 2011, les régulateurs américains et européens se sont approprié cet outil pour attester à fréquence régulière de la solidité des établissements sous tutelle.

Des modèles de planification et de stress-tests imparfaits

Les banques françaises sont donc rompues aux exercices de planification et de stress-tests. Néanmoins, les modèles de planification et de stress-tests dont disposent les banques présentent encore certaines faiblesses :

  • ils reposent significativement sur du dire d’expert et des scénarios extrêmes mis à disposition par le régulateur ;
  • ils n’ont pas tous le même degré de sophistication, ni le même niveau de granularité ;
  • ils ont été développés de manière indépendante, répondant à différents impératifs réglementaires (ICAAP, ILAAP, plan de résolution) ou internes (budget) et ne communiquent pas entre eux ;
  • le déploiement d’un exercice de planification ou de stress-test de bout en bout peut prendre un temps significatif et mobiliser de nombreuses ressources ;
  • les équipes centrales disposent rarement de modèles suffisamment poussés pour leur permettre de challenger les remontées métiers.

Un enjeu stratégique

Aujourd’hui, l’enjeu n’est pas tant pour les établissements de mener des projections et des stress-tests, que de constituer une intégration stratégique des stress-tests dans leur dispositif de gestion des risques et de planification financière. Les banques doivent de manière cohérente exprimer une ambition stratégique, mener leurs projections budgétaires et gérer leurs risques. Les stress-tests deviennent, au-delà d’un exercice de mise en conformité réglementaire, un outil de gestion des ressources rares (capital, liquidité) et de pilotage du RONE [2] s’intégrant parfaitement dans une gestion optimisée du SREP [3] . La planification et les stress-tests doivent permettre de valider des choix stratégiques et être un outil de communication avec les marchés. Patrick Sommelet, directeur financier délégué à la Société Générale précise ainsi que « l’un des facteurs endogènes les plus importants dans le développement de la plateforme a été la volonté de la direction générale de disposer d’outil permettant de réagir plus rapidement à des chocs d’environnements ».

Les plateformes de planification financière et de stress-test, qui sont l’objet de cet article, sont une des réponses à cet enjeu. Elles ont pour but de réunir différents outils d’analyse et différentes ressources pour produire, dans une durée restreinte, les principaux indicateurs de profitabilité et de risque de la banque sur un horizon de trois à cinq ans (voir Schéma 1). Elles constituent ainsi une révolution dans la modélisation du résultat et des risques et s’inscrivent dans un contexte favorable d’émergence de nouvelles technologies et d’une nouvelle culture « data » (voir Schéma 2). Les facteurs clés de succès d’une plateforme de planification et de stress-test sont :

  • la constitution d’une bibliothèque de scénarios de stress ;
  • des modèles robustes paramétrés dans des outils agiles ;
  • une gouvernance claire instaurée par le Comité de direction des banques et impulsant une collaboration étroite entre les fonctions Finance et Risques ;
  • une utilisation concrète ou insertion opérationnelle des modèles de stress-test.
Nous proposons de revenir de manière détaillée sur chacun de ces facteurs.

I. La constitution d’une bibliothèque de scénarios cohérents

La constitution d’une bibliothèque de scénarios cohérents est le point de départ des exercices de modélisation. L’évaluation collégiale des banques (« peer review ») menée par l’Autorité bancaire européenne (EBA) en 2013 a mis en exergue d’importantes limites dans les stress-tests menés par les institutions, parmi lesquelles des scénarios de stress insuffisamment pertinents et ne couvrant pas l’ensemble des risques. Le régulateur a notamment mis en évidence les difficultés des banques à modéliser les effets de contagion et de diversification entre risques, ce que confirme Marc Irubetagoyena, responsable du programme de planification financière et de stress-test de BNP Paribas : « nous travaillons aujourd’hui à la modélisation des effets de contagion. Néanmoins, ces effets dominos reposent sur l’utilisation de probabilités conditionnelles dont le calibrage suppose l’accumulation d’un nombre significatif de données rendant l’exercice de longue haleine ». La plateforme de planification financière et de stress-test participe à remédier à ces lacunes en simulant sous différents scénarios, des projections du compte de résultat et des risques des banques (voir Schéma 3). La première étape de ce processus consiste à se doter d’une bibliothèque de scénarios à sévérité croissante (central, adverse, passage en remédiation).

L'élaboration des scénarios

La construction de chaque scénario est fonction de la nature du stress appliqué. Il est d’usage de distinguer les stress-tests historiques, ceux induisant une mise en défaut de l’établissement (ou reverse stress-tests) et les analyses de sensibilité (« what if analysis »). Sous un stress historique, la banque établit une liste des crises passées (par exemple le Brexit, la crise des subprimes ou l’éclatement de la bulle internet du début des années 2000) et constitue des historiques de données sur ces périodes. Le reverse stress est un procédé différent où l’établissement part de l’identification des principaux facteurs de risque susceptibles de mettre en défaut la banque, desquels sont inférés des éléments déclencheurs de ces risques (drivers) et donc un scénario. L’analyse de sensibilité est un exercice au style plus libre, où le périmètre d’application du stress et son intensité sont décidés par l’établissement.

La définition des briques constituant chaque scénario est ensuite déterminante. Marc Irubetagoyena évoque « la taxonomie des scénarios » et rappelle « qu’il est essentiel, pour assurer l’homogénéité des scénarios, d’en définir des dimensions précises communes », parmi lesquelles :

  • l’intensité du stress : les plateformes intégrées de planification financière et de stress-test ont pour première vocation de communiquer une trajectoire du bilan et des métriques de la banque en scénario central, puis une ou plusieurs trajectoires stressées ;
  • le périmètre considéré : une des avancées des plateformes intégrées est de pouvoir réaliser dans un temps réduit une projection et un stress de l’ensemble des activités de la banque. Cependant, la modélisation d’une activité particulière est toujours possible. L’EBA incite en ce sens les banques à conjuguer stress globaux et locaux ;
  • l’horizon du stress : sur un stress couvrant l’ensemble des activités de la banque, l’horizon du stress sera généralement de trois à cinq ans. Néanmoins, l’horizon dépend du calcul considéré : les stress de liquidité ont généralement des horizons d’un mois à un an tandis que les stress liés à la solvabilité des établissements s’appliquent sur trois ans ou plus ;
  • le type de scénario : stress macroéconomique lent ou plus rapide, stress idiosyncratique ou combiné ;
  • la source des données utilisées : les plateformes intégrées cherchent à produire une projection objective, si bien que les données disposant d’une justification statistique sont privilégiées. Elles peuvent être complétées au besoin par du dire d’expert. Les données incluent les données macroéconomiques (croissance du PIB, taux de chômage, etc.), bancaires (taille du marché des crédits immobiliers, taux de rémunération des dépôts, etc.) et idiosyncratiques (propres à un établissement ou une activité).
La construction de scénarios cohérents implique par ailleurs la prise en compte de boucles de rétroaction entre les différentes typologies de risques (liquidité et crédit, crédit et marge d’intérêt par exemple) et combiner des effets macroéconomiques et des chocs sur des portefeuilles spécifiques.

D’un point de vue opérationnel, la définition des scénarios de stress s’inscrit dans les processus d’identification et d’évaluation des risques des banques. Les scénarios doivent ainsi inclure un stress des variables jouant sur le déclenchement d’événements de risques probables et intenses relevés dans le processus de cartographie des risques. Par exemple, si la banque identifie un risque de défaut sur ses contreparties établies en Turquie, le scénario de stress peut se traduire par une hausse des spreads corporate turcs ou une baisse du PIB turc couplée à une hausse du chômage. Les exercices de stress-test et d’identification des risques sont de fait interdépendants. Les stress-tests permettent également d’affiner l’appétit au risque des banques. Marc Irubetagoyena précise que « les stress-tests permettent d’éprouver les seuils d’alerte ou limites de risque, entraînant parfois leurs recalibrages ».

Trois difficultés à surmonter

De notre expérience, trois difficultés doivent être surmontées pour rendre efficiente la construction de bibliothèques de scénarios de stress :

  • la première difficulté réside dans la définition d’une probabilité d’occurrence de chaque scénario. S’il est important de disposer d’un nombre significatif de scénarios, il est aussi important de pouvoir déterminer un classement des quelques scénarios les plus probables afin d’estimer les impacts moyens attendus ;
  • le deuxième obstacle réside dans la difficile industrialisation de la production des scénarios de stress. À ce titre, BNP Paribas a lancé un projet sur les générateurs de scénarios économiques, en coopération avec l’École Polytechnique, dont l’objectif est de constituer une base de modèles
  • enfin, la définition des scénarios doit être approuvée par les plus hautes instances de la banque, afin d’apporter de la crédibilité à l’exercice.

II. Le développement des modèles : un projet complexe

Les modèles développés dans le cadre des plateformes intégrées sont principalement les modèles de projection statistique des volumes d’activité, de marge d’intérêt et de commissions, les banques disposant déjà de modèles de risques conçus dans le cadre de travaux comptables ou réglementaires. Ces nouveaux modèles de projection du produit net bancaire répondent au souhait du régulateur d’éprouver la robustesse des plans stratégique et financier. Selon Teresa Mora Grenier, directrice du contrôle de gestion chez Natixis : « Le régulateur encourage le développement de modèles quantitatifs s’appuyant sur des travaux statistiques permettant d’isoler les principaux drivers des modèles d’activité bancaires et de réaliser des stress-tests à la demande ». Les équipes de la BCE se dotent d’ailleurs elles aussi de modèles calibrés sur les données transmises par les établissements, d’où la nécessité d’agir pour les banques.

Les travaux menés dans le cadre des modèles s’articulent autour des problématiques suivantes : définir le bon niveau de granularité ; définir des méthodes de projection et identifier les drivers ; procéder à des projections statistiques ; assurer l’articulation des différents modules de calcul.

Définir le bon niveau de granularité

La définition du niveau de granularité modélisé par les plateformes de planification et de stress-test est une étape importante. Les lignes métiers souhaitent généralement réaliser des projections de niveau fin sur des sous-portefeuilles, tandis que les équipes centrales réalisent des projections « top-down » visant à donner une trajectoire globale du bilan et des performances de l’établissement. Ces deux objectifs complémentaires peuvent inciter les établissements à construire des modèles au niveau le plus fin, puis à procéder à une consolidation. La construction des modèles à un niveau trop granulaire complexifie néanmoins la construction, la maintenance et l’utilisation des outils.

Il s’agit donc de définir une granularité intermédiaire permettant une mise à jour des projections rapide, et constituée de modèles avancés et granulaires sur les métiers et les agrégats les plus critiques en termes de pilotage (par exemple les activités de marché, la marge nette d’intérêts, partie cyclique des commissions et coûts). Des discussions avec les métiers en amont des travaux statistiques permettent de valider le niveau de granularité et facilitent le processus de modélisation.

Définir des méthodes de projection et identifier les drivers

Les travaux de segmentation des activités et de définition du niveau de granularité permettent de construire des modèles de projection à partir de réalités business cohérentes. L’étape suivante consiste alors à projeter les volumes, puis la marge d’intérêt et les commissions sur ces segments. Les projections s’appuient sur des familles de modèles complémentaires incluant, pour la projection des volumes, des régressions statistiques, les modèles de réplication communiqués par l’ALM mais aussi des modèles analytiques plus simples (si une partie des coûts peut faire l’objet d’analyses plus poussées, les modules de bonus par exemple sont souvent purement analytiques).

Sur certains pans d’activité, la projection des volumes s’appuie sur des benchmarks ou des projections de marché externes complétant les modèles quantitatifs.

Pour d’autres activités, une modélisation de la taille globale du marché ajustée de l’ambition de conquête de la banque peut être adoptée, notamment sur les activités pour lesquelles la part de marché des différents acteurs est connue (conseil en fusions/acquisitions, ECM DCM etc.) ou pour les activités suivies par les organismes de statistiques nationaux (montant de production de crédit, pools de dépôts, etc.).

La projection « déterministe » des modèles doit être complétée d’ajustements managériaux. Ces derniers permettent de tenir compte d’inflexions dans la politique de prix ou de conquête commerciale, d’acquisitions ou d’évolutions imprévisibles de l’activité. Cette couche d’ajustements managériaux permet de tenir compte des remarques des métiers et facilite l’insertion de la plateforme.

Si ces méthodes sont complémentaires, il est primordial de conserver une unicité des modèles utilisés pour une métrique et un type d’activité donnés afin de conserver un bon niveau de comparabilité des résultats (modèles de projection de la marge nette d’intérêt (MNI) cohérent sur l’ensemble des métiers banque de détail par exemple).

Procéder à des projections statistiques

Les modèles de volume peuvent s’appuyer sur des méthodes statistiques reposant sur la corrélation historique des volumes projetés et des variables macroéconomiques communiquées par le scénario (modèles de régression et de classification multivariées, linéaires ou non-linéaires).

Lors de la calibration de ces modèles, un compromis est souvent à trouver entre facilité d’implémentation et d’appropriation par les métiers d’une part, et puissance prédictive et robustesse statistique d’autre part. La démarche à mettre en œuvre pour assurer la robustesse statistique du modèle consiste en une approche itérative en trois étapes : collecte et retraitement de la donnée ; détermination des variables explicatives et de l’expression du modèle ; et évaluation de sa performance.

Les transformations mathématiques des séries de données peuvent améliorer la qualité des modèles à tester. La pertinence de ces transformations doit être évaluée à l’aune de la représentativité business d’éléments dits exceptionnels et de la complétion de données manquantes.

Le choix de la forme des modèles statistiques est d’abord fonction de la qualité et de la profondeur des données récoltées. Par exemple, les données doivent être suffisamment profondes pour représenter différentes situations économiques (expansion, crise) et différents contextes de taux (taux bas par exemple). Ensuite, les modèles linéaires sont privilégiés pour leur appropriation plus aisée. Des régressions quantiles peuvent éventuellement être utilisées en situation de stress. Les méthodes d’apprentissage automatique permettent d’orienter le choix des variables, même si ces dernières méthodes ne sont généralement pas retenues in fine du fait de leur complexité et parfois du manque de profondeur d’historique disponible.

Afin d’être homologué par le régulateur et les équipes d’audit de modèles internes à la banque, le pouvoir prédictif des modèles doit ensuite être vérifié par un ensemble de tests. Notons que l’exigence de vérification de ces tests est à pondérer par la qualité de la donnée disponible et le jugement expert indispensable à la modélisation de certains postes de P&L - frais de gestion ou commission non financières par exemple. Les établissements doivent conserver les résultats de l’ensemble des tests réalisés car ils constituent un élément clé de l’audit des équipes des différents régulateurs.

Assurer l’articulation des différents modules de calcul

Une fois les modèles de volumes, de marge nette d’intérêt et de commissions développés, la plateforme intégrée de planification et de stress-test doit assurer le lien entre les différents modules de calcul (P&L, risques, liquidité).

Assurer une cohérence des projections des volumes d’activité, des marges commerciales et des risques (coût du risque, créances douteuses, emplois pondérés) est un sujet historiquement complexe pour les établissements. En effet, les systèmes d’information sont généralement spécifiques à chaque métier et s’appuient sur des référentiels de données non harmonisés.

En cela, les plateformes intégrées de planification et de stress-test constituent une véritable avancée. Pour assurer l’unicité des données utilisées par les plateformes, certaines banques ont par exemple lancé la construction de bases de données (« datawarehouse ») partagées par l’ALM, les Risques et la Finance qui viennent se déverser dans les différents modules de calcul de la plateforme. Une fois alimentées de données, les plateformes assurent la communication entre projection du bilan, des indicateurs de profitabilité et des emplois pondérés. À ce titre, la projection du bilan devient la pierre angulaire d’un système arborescent qui permet la projection des revenus (marge d’intérêt et commissions) et la production des métriques de risques et de liquidité sur la base d’encours communs. La croissance du bilan commercial permet en effet de faire croître les expositions au défaut (EAD) utilisées pour le calcul du coût du risque et des emplois pondérés. La projection du bilan commercial sert aussi de base à l’obtention du bilan de liquidité.

La projection du bilan s’interface donc avec les modules de calcul. Des boucles de rétroaction peuvent être également prises en compte. Les flux de passage en défaut calculés dans le module de calcul du coût du risque peuvent être réintégrés au bilan, puis pris en compte dans le cadre du calcul de la marge nette d’intérêt. La projection des générations de nouvelle production peut permettre le calcul de commissions sur nouvelles productions.

III. Une gouvernance forte : un facteur clé de succès

La mise en place d’une gouvernance claire est un élément clé du bon fonctionnement des plateformes intégrées de planification et de stress-tests, comme l’a rappelé récemment l’EBA en publiant le 19 juillet dernier son rapport final sur les bonnes pratiques en matière de stress-tests.

Le programme doit obtenir le soutien de la direction générale des établissements, responsable de sa mise en application et de sa performance. La gestion du projet (regard critique sur les scénarios retenus, les principales hypothèses de modélisation, échanges avec les métiers, etc.) peut être déléguée à des managers séniors en charge de rédiger des normes et des procédures documentant les travaux menés. Teresa Mora Grenier « insiste sur l’importance de co-construire ces modèles avec les opérationnels pour faciliter leur intégration dans le processus d’animation de la performance dès la genèse du projet ».

Pour assurer l’efficacité du programme, la communication doit être verticale, depuis le comité de direction jusqu’aux lignes métiers, mais également horizontale. Cette communication horizontale peut se traduire par une communication entre lignes métiers, qui permet par exemple d’assurer une homogénéité des modèles de projection retenus. La communication horizontale peut également se manifester à l’intérieur même d’une ligne métier par un renforcement des liens entre les équipes chargées de la finance, de la gestion du capital et de la liquidité lors de la conception des modèles ou de périodes de production.

Un choc culturel pour la fonction Finance

Rebattant les cartes d’un jeu où la planification est traditionnellement le domaine de la Finance et les stress-tests des Risques, les plateformes intégrées de planification et de stress-test constituent un choc culturel pour la fonction Finance. Les fonctions Risques sont en effet habituées à s’appuyer dans leurs analyses sur des modèles quantitatifs développés dans le cadre de Bâle III ou de la mise en application d’IFRS 9. Si la fonction Finance dispose généralement de modèles d’analyse des indicateurs de performance, la culture de la modélisation statistique y est souvent moins développée. Pourtant, les modèles PPNR [4] développés aux États-Unis et les dernières recommandations de l’EBA sur la modélisation des commissions mettent en lumière la nécessité de développer des modèles économétriques de projection du produit net bancaire et des frais. En ce sens, les compétences quantitatives dont disposent les fonctions Risques peuvent venir soutenir la Finance.

Des équipes mixtes

La convergence entre la Finance et les Risques peut aussi se manifester, en matière d’organisation, par la mise en place d’équipes mixtes ou « joint-ventures » mêlant des profils issus des risques, de la gestion actif passif et du contrôle de gestion. Ces équipes sont chargées de faire le lien entre les différentes lignes métiers et la direction de l’établissement. La mise en place de ces nouvelles équipes hybrides ne se fait pas sans mal, comme le rappelle Marc Irubetagoyena : « Le rassemblement au sein d’une joint-venture de profils aux cultures différentes est un mal nécessaire. Il constitue une réunion d’expertises capable de traiter des enjeux complexes et d’attirer de nouveaux talents ». Constituer une équipe centrale en charge de la planification et des stress-tests permet de gagner en efficacité opérationnelle en réduisant les délais de production (voir Schéma 3).

V. Utilisation concrète

La création d’une plateforme de planification financière et de stress-tests n’est pas un exercice « hors sol » de modélisation mais constitue avant tout une refonte des processus, et de l’organisation de la banque. Patrick Sommelet insiste : « dès cette année, le processus budgétaire a été amendé, et le modèle y a été intégré. La gouvernance évolue et le poids des modèles quantitatifs dans les exercices de planification ne va cesser de croître ». Dans ce contexte, nous identifions les fonctions principales de ces plateformes.

Répondre à une demande spécifique de la direction générale ou du régulateur. Les plateformes intégrées de planification financière et de stress-test révolutionnent les pratiques budgétaires en réduisant le « dire d’expert » et les temps de production. Elles permettent de constituer des trajectoires financières assises sur les variables économiques et des modèles. Ceci répond aux attentes des régulateurs américain et européen exprimées respectivement dans le cadre du CCAR [5] et des stress-tests EBA. Elles permettent également de répondre rapidement aux demandes de simulation de la direction générale, en produisant des analyses traçables et itératives.

Faciliter la couverture des exigences de stress-testing et de simulation ad hoc. Les plateformes intégrées sont des outils agiles permettant la réalisation de différents stress-tests (budgétaire, réglementaire) et travaux réglementaires (ICAAP, ILAAP, travaux liés aux plans de résolution). En 2018, le volet commissions des stress EBA a par exemple été réalisé en totalité via des versions tactiques des plateformes par deux grandes banques de la place. Un autre établissement français a utilisé la plateforme intégrée dans ses travaux en lien avec le Brexit. Ces outils centraux limitent les dépendances dans les processus de production et les coûts de production des reportings. Les plateformes s’intègrent donc dans cette revue des processus au point d’être devenu l’un des quatre piliers du SREP.

Renforcer le pilotage stratégique et financier. Les plateformes de planification financière et de stress-test réalignent la feuille de route stratégique, la planification du capital ainsi que son allocation et le plan de financement, en cohérence avec l’appétit pour le risque de l’entreprise. Elles permettent un pilotage fin, cohérent avec le cycle économique, et offrent des possibilités de simulation ad hoc combinant des impacts variés (effets croisés : volumes de NPL et MNI, remboursements anticipés et commissions…). Elles permettent enfin d’appréhender les enjeux de recalibrage du business mix en ligne pour maximiser le RONE, avec une capacité accrue d’identification de leviers de croissance et d’optimisation.

Démontrer la valeur ajoutée des modèles de planification. Le régulateur insiste fortement sur la capacité des établissements à démontrer l’utilisation et la valeur ajoutée de leurs modèles de planification, utilisant notamment les notions d’insertion opérationnelle ou usages (use tests). Dans cette perspective, la formation des équipes à ces nouveaux outils est un bon indicateur. L’utilisation, en première approche, de ces nouveaux outils comme challenger models de méthodes de planification historiques peut être également un premier pas vers l’usage cible des plateformes.

V. Une étape de plus dans le processus d’intégration de la donnée à la prise de décision

La naissance des plateformes intégrées de planification financière et de stress-test marque une étape importante sur le chemin de l’évolution des pratiques budgétaires et de gestion des risques. Les modèles de projection des résultats sont désormais établis sur des méthodes statistiques, au même titre que les modèles de risques, permettant d’exploiter au mieux le flux croissant de données. Les établissements ont pris conscience de la valeur ajoutée que peut constituer l’exploitation de données fiables et toujours plus abondantes. Cet élan, doit permettre de soutenir les projets permettant d’enrichir et de fiabiliser la donnée jusqu’à automatiser les chaines d’analyses dès aujourd’hui car ces programmes prennent du temps.

Les modèles de résultats et de risques sont également interconnectés et appellent de nouvelles synergies entre les équipes Finance et Risques (voir Schéma 4). Néanmoins, les défis restent encore nombreux. On peut citer :

  • la modélisation et l'allocation analytique des charges d’exploitation ;
  • la connexion de la démarche budgétaire des banques aux processus de vente et aux outils marketing. L’intégration de la demande est encore loin d’être gérée par les outils.
Le chemin de l’évolution des plateformes est donc encore semé d’embûches.

 

1 Internal Capital Adequacy Assessment Process ; Internal Liquidity Adequacy Assessment Process.
2 Return on Notional Equity.
3 Supervisory Review and Evaluation Process.
4 Pre-Provision Net Revenue.
5 Comprehensive Capital Analysis and Review.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº824
Notes :
1 Internal Capital Adequacy Assessment Process ; Internal Liquidity Adequacy Assessment Process.
2 Return on Notional Equity.
3 Supervisory Review and Evaluation Process.
4 Pre-Provision Net Revenue.
5 Comprehensive Capital Analysis and Review.