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Les banques à la manœuvre pour assainir le marché de l’immobilier

Créé le

18.01.2024

-

Mis à jour le

12.03.2024

La crise de l’habitat a été aggravée par le fort ralentissement de la production de crédits, qui bloque le marché et réduit les mises en chantier. Financement, couverture de l’investissement, accompagnement de terrain : les banques peuvent favoriser son retournement.

Le marché immobilier est confronté à une crise sévère qui a démarré à l’été 2022 (-20 % sur le volume de transactions sur 12 mois1). Le volume des transactions s’effondre et les prix refluent très légèrement en valeur absolue (-1 % en glissement annuel à l’été 20231) mais plus significativement en valeur relative (-5,5 % sur la même période en tenant compte de l’inflation).

Cette chute du marché s’explique principalement par la forte diminution de la production de crédits : baisse de 34,7 % en rythme annuel entre 2022 et 20232. Ce phénomène tient de la hausse brutale des taux d’intérêt (triplement sur la même période) qui pénalise lourdement la solvabilité des ménages et entraîne une forte hausse des refus de crédit (estimation de 50 % sur le S1 20233). Au surplus, le durcissement des règles d’octroi combiné à un franchissement rapide du taux d’usure concourt également à restreindre la distribution des crédits.

Le rééquilibrage des prix de l’immobilier est probablement nécessaire (+150 % depuis 2000 contre +58 % pour les salaires médians nets4) mais aujourd’hui le gel du marché devient problématique entraînant des dommages collatéraux sociaux et économiques.

Crise du logement

Au-delà des impacts économiques induits par un ralentissement du secteur du BTP, l’inertie du marché immobilier pénalise significativement la croissance par une allocation sous-optimale des facteurs de production.

Les établissements bancaires sont soumis à une triple contrainte en termes de rentabilité (compression momentanée des marges d’intermédiation du fait d’un stock d’encours de crédit à taux fixe et de liquidités rémunérés à taux variables croissants), de solvabilité (contraintes légales et prudentielles) et de soutenabilité de l’écosystème (satisfaire les besoins primaires et éviter d’aggraver le ralentissement économique).

Les établissements bancaires peuvent agir pour fluidifier le marché tout en protégeant leur bilan et en respectant le cadre légal à condition de faire preuve d’un minimum d’audace.

Ils peuvent intervenir dans trois domaines complémentaires : l’innovation produit, la sécurisation des investisseurs et le service transactionnel.

L’innovation financière peut aider à resolvabiliser la demande. Plusieurs pistes peuvent être mises à l’étude en ce domaine.

Développer le leasing immobilier. Il s’agit de prévoir un financement immédiat de 30 % du bien acquis (éventuellement financé par crédit) et le reste du capital est payé à terme, avec paiement des seuls intérêts durant une période de 10, 15 ou 20 ans. Cela allège considérablement le poids des remboursements et facilite donc le respect des seuils d’endettement. À terme le bien peut être cédé, refinancé ou soldé. Cette technique est largement utilisée avec succès sur le marché suisse. Elle fait toutefois porter un risque de concentration sur le bilan bancaire qui peut être allégé par une titrisation de ces créances hypothécaires qui trouveront aisément preneurs aux taux actuels.

Encourager le financement collaboratif. Le crédit immobilier propose aujourd’hui des rendements acceptables et son utilité sociale n’est plus à démontrer. Pour alléger les contraintes prudentielles, les banques pourraient encourager/construire des fonds de financement collaboratif et proposer leur expertise en matière de gestion des risques. Ce financement désintermédié donnerait un peu d’oxygène à un marché où une épargne massive (2 775 Mds € d’épargne monétaire non réglementée en octobre 20235) trouverait ainsi utilement à s’employer.

Différencier nettement les taux de crédit selon la nature des opérations, pour encourager la production de logements neufs et décourager la spéculation.

Pour pallier le manque de logement, les banques avec le concours éventuel d’une garantie de l’État pourraient différencier les taux en fonction des projets pour encourager la production de logements neufs et/ou la transformation d’immeubles initialement affectés à d’autres activités. En favorisant l’extension du parc de logements, elles permettraient de stimuler la croissance, la mobilité sociale et encourageraient la modération des prix de l’ancien.

Mettre en place une rémunération variable complémentaire à terme en contrepartie d’une modération des taux de financement. La durée moyenne réelle des crédits immobiliers en France est de 8 ans. En contrepartie d’une modération de taux, les banques pourraient prendre une créance hypothécaire couvrant la fraction des intérêts non payés qui seraient capitalisés et remboursés au moment de la revente du bien ou au plus tard à un terme convenu en cas de conservation du bien.

À titre d’illustration, une baisse de un point du taux de crédit moyen à 20 ans pour le porter à 3,30 % sur un emprunt moyen de 210 000 € conduirait à une perte de 15,5 K€ d’intérêts sur 8 ans mais abaisserait l’exigence de revenus nets mensuels de 300 €, ce qui pourrait changer la donne.

En capitalisant les intérêts non perçus au taux initialement prévu (4,30 %), la banque pourrait ainsi percevoir 18,6 K€ à l’échéance de 8 ans à prélever sur la vente du bien. Pour que l’acquéreur récupère a minima le remboursement du principal, il faudrait que son bien ait crû annuellement de 1,01 % sur la période (contre 2,6 % observés sur la dernière décennie) ce qui semble largement atteignable.

La mécanique peut être affinée et tenir compte d’un paiement différé d’intérêts capitalisés à l’issue du crédit en cas de non-revente du bien. Dans notre exemple, cela représenterait 33,5 K€ au terme (20 ans), amortissables au plus sur 3 ans selon les taux en vigueur en prolongeant l’échéance de crédit.

Déflation immobilière

Pour casser le cercle vicieux de la déflation immobilière, il convient de sécuriser les acheteurs sur la pérennité de leur investissement. Les banques devraient promouvoir des garanties perte à la revente. Ainsi tout acquéreur serait certain de récupérer son investissement dans une fenêtre de temps à déterminer pour se protéger des variations de marché défavorables. L’innovation pourrait venir d’un adossement automatique à l’indice des prix des logements pour en faire une véritable option de couverture et non une assurance restrictive. Constitué sur une base large, ce risque pourrait ensuite faire l’objet d’un transfert au marché à l’instar des obligations CatNat.

Enfin, un panel de services transactionnels pourrait être offert aux acquéreurs afin de sécuriser les opérations :

– barème des transactions effectuées sur des immeubles comparables corrigé des spécificités liés aux biens ;

– mise à disposition d’un guide de l’acheteur et mise en relation éventuelle avec un expert immobilier pour valider la qualité du bâti et chiffrer objectivement les travaux éventuels ;

– mise en relation avec un panel de professionnels du bâtiment (architectes, artisans, commerces spécialisés) bénéficiant d’un label qualité et de prix négociés pour les clients.

Ainsi en intervenant sur le financement, la couverture de l’investissement et l’accompagnement terrain, les banques pourraient véritablement stimuler la reprise du marché au bénéfice de tous.

Les nécessaires actions visant à réguler les prix immobiliers relèvent à notre sens davantage des pouvoirs publics en commençant par libérer du foncier, accélérer et simplifier la délivrance des permis de construire et alléger les contraintes de construction.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº889
Immobilier : volumes et évolution annuelle des transactions en France
$!Les banques à la manœuvre pour assainir le marché de l’immobilier
Production de nouveaux crédits
$!Les banques à la manœuvre pour assainir le marché de l’immobilier
Notes :
1 Base Notaires.
2 Banque de France.
3 Observatoire Meilleur Taux.
4 Insee.
5 Fédération bancaire française, actionnaire de La Revue Banque.
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