1. Alors qu’approche à grands pas l’évaluation de la France par le GAFI (prévue en juillet prochain), dans le cadre du quatrième cycle d’évaluations mutuelles ; à l’heure où Tracfin communique sur sa nouvelle organisation
2. Pas moins de six décisions ont en effet été rendues par la Commission des sanctions de l’ACPR en à peine quatre mois et demi, toutes portant sur la LCB-FT et, à l’exception d’une seule (CotiZup, avertissement)
3. Un passage nous a frappé à la lecture de la dernière décision en date (Carrefour Banque SA), à propos de la mise en œuvre des obligations de vigilance, spécialement de l’obligation de connaissance de la clientèle. C’est celui-ci : « Si les établissements assujettis disposent d’une marge d’appréciation pour la mise en œuvre de leurs obligations en matière de connaissance des clients, ils n’en sont pas moins tenus de mettre en place un dispositif efficace, c’est-à-dire qui leur permette notamment de détecter, parmi les opérations atypiques de leurs clients, celles dont Tracfin doit être avisé
4. On peut y rattacher cette observation de la décision Cardif Assurance-Vie : « Toutefois, si les organismes assujettis disposent d’une marge d’appréciation pour mettre en œuvre leurs obligations légales en matière LCB-FT, y compris leurs obligations en matière de vigilance sur les opérations de leurs clients, d’examen renforcé ou d’information de Tracfin sur les opérations suspectes, afin de tenir compte des caractéristiques de leurs activités et de leurs clientèles et des risques qu’elles présentent, il incombe à l’ACPR de vérifier que leur dispositif LCB-FT et les diligences effectuées dans chaque dossier individuel sont conformes à l’analyse qu’elle fait des risques que présentent les produits, clients et opérations concernés
5. Où l’on retrouve, cité par cette dernière, cet extrait, significatif, de la décision Attijariwafa Bank Europe : « S’il leur appartient de mettre en œuvre les dispositions qui leur sont applicables en matière de LCBFT en tenant compte des spécificités de leurs activités, les organismes assujettis ne sauraient se prévaloir d’une "liberté d’appréciation" indéterminée : ils ne peuvent être regardés comme ayant respecté leurs obligations que si les dispositifs et procédures mis en place répondent aux exigences qui justifient les obligations auxquelles ils sont soumis. Dans le cas contraire, dès lors que les dispositions sur lesquelles se fonde la poursuite font “référence à des obligations identifiables sans ambigüité et connues des professionnels” (Conseil d’État 5 novembre 2014, n° 371585), ils peuvent être sanctionnés pour ne pas les avoir respectées, sans méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines
6. Voilà pour au moins trois des décisions de ces derniers mois
7. Du côté du droit positif proprement dit, maintenant, la disposition clé en la matière est assurément l’article L. 561-4-1 du Code monétaire et financier, qui fait reposer sur les personnes assujetties l’identification et l’évaluation des risques de BC-FT auxquels elles sont exposées, à partir de quoi « elles élaborent en particulier une classification des risques en question en fonction de la nature des produits ou services offerts, des conditions de transaction proposées, des canaux de distribution utilisés, des caractéristiques des clients, ainsi que du pays ou du territoire d'origine ou de destination des fonds »
8. L’évaluation des risques prévue par l’article L. 561-4-1 précité doit être conduite, enfin, en suivant les prescriptions du nouvel arrêté du 6 janvier 2021 relatif au dispositif et au contrôle interne en matière de LCB-FT et de gel des avoirs et d’interdiction de mise à disposition ou d’utilisation des fonds ou ressources économiques, entré en vigueur le 1er mars dernier
« Les organismes assujettis documentent l'identification, l'évaluation et la classification des risques mentionnées à l'article L. 561-4-1 du code monétaire et financier.
Préalablement au lancement de nouveaux produits, services ou pratiques commerciales, y compris le recours à de nouveaux mécanismes de distribution et à des technologies nouvelles ou en développement, en lien avec des produits et services nouveaux ou préexistants, les organismes assujettis identifient et évaluent notamment les risques de blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme qui y sont liés, afin de prendre des mesures appropriées pour gérer et atténuer ces risques.
Pour élaborer la classification des risques mentionnée ci-dessus, les organismes assujettis prennent notamment en compte les informations diffusées par le ministre chargé de l'économie, le service mentionné à l'article L. 561-23 du code monétaire et financier, le Groupe d'action financière (GAFI) ainsi que les publications de l'organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de l'Union européenne. Ces informations comprennent notamment :
1° Les listes des juridictions à haut risque ou sous surveillance établies par le GAFI ;
2° Les listes des pays tiers à haut risque établies par la Commission européenne en application de l'article 9 de la directive (UE) 2015/849 du 20 mai 2015 susvisée ;
3° Les listes publiées par l'OCDE et par l'Union européenne relatives aux juridictions non coopératives en matière fiscale ou adoptées en application de l'article 238-0 A du code général des impôts.
La classification des risques tient compte de l'évaluation des risques mentionnée au deuxième alinéa. Elle est régulièrement mise à jour, notamment à la suite de tout événement interne ou externe affectant significativement les activités, les produits, les opérations, les canaux de distribution, les clientèles ou les implantations de l'organisme assujetti ».
9. Parvenus à ce point, nous osons les suggestions suivantes, à l’adresse de l’ACPR :
– qu’au-delà de son Analyse sectorielle des risques de BC-FT en France (ASR), publiée en décembre 2019, ou à l’occasion d’une prochaine analyse, elle nous propose, après dix années de jurisprudence de sa Commission des sanctions, une synthèse, thème par thème, de ses principales prises de position, qui aiderait les établissements assujettis dans l’élaboration d’un dispositif de LCB-FT… efficace, et
– qu’à sa rubrique LCB-FT, soient accessibles l’ensemble des listes européennes ou internationales à jour et, de manière générale, toute documentation pertinente.
Une chose est que les établissements financiers soient devenus des auxiliaires de la police des paiements ; autre chose est qu’ils doivent, en sus, jouer les documentalistes de la LCB-FT.
Achevé de rédiger le 15 mai 2021.