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Surendettement des ménages : des résultats encourageants

Créé le

22.11.2021

Face au business du crédit, la Banque de France suit attentivement les chiffres du surendettement. Au-delà des événements de court terme, liés notamment à la crise du Covid, force est de constater que sur une décennie, les chiffres sont favorables. Ce qui n’empêche pas de rester vigilant.

La procédure de traitement du surendettement des ménages a été instaurée par la loi du 31 décembre 1989, dite loi Neiertz. Elle est mise en œuvre dans chaque département par la commission de surendettement, dont le secrétariat est assuré par la Banque de France. Elle permet aux personnes physiques de bonne foi, qui sont dans l’impossibilité manifeste de faire face à l’ensemble de leurs dettes non professionnelles, exigibles et à échoir, de saisir la commission ad hoc, en vue de trouver une solution à leur situation.

Le nombre des dossiers de surendettement déposés au cours des dix-huit derniers mois a été marqué par des variations très atypiques, liées à la situation sanitaire : -24 % en 2020 par rapport à 2019, +16 % sur les dix premiers mois de 2021 par rapport à la même période en 2020. Sur une plus longue période, depuis 2014, le surendettement des ménages a connu d’importantes évolutions : une dégradation du niveau des revenus des ménages surendettés, des modifications dans la nature de l’endettement et une baisse régulière des dépôts de dossiers depuis 2015. Une analyse détaillée montre également des éléments de permanence : le surendettement dit « actif », causé principalement par l’accumulation excessive de crédits, est très minoritaire et la survenance de l’incapacité à faire face à l’endettement résulte le plus souvent d’un événement qui affecte le budget des ménages concernés (séparation, chômage, problème de santé…). Mais les crédits demeurent très présents dans les dossiers analysés par les commissions : les évolutions constatées dans leur nombre et leur nature y reflètent en partie les dynamiques du marché des crédits aux particuliers.

Comment peut-on expliquer ces évolutions ? Quel est le contexte actuel du marché du crédit aux particuliers en France ? Et quels sont les points d’attention et les pistes et leviers disponibles pour prévenir toute nouvelle hausse d’ampleur du surendettement des ménages ?

Une décennie de mutation

Ces dernières années, l’encours de crédit aux particuliers est en hausse : d’une base 100 à la fin de l’année 2014, l’encours global des crédits à la consommation s’établissait à 132 au troisième trimestre 2021, celui des crédits immobiliers à 139. La France prête plus que ses voisins : pendant la même période, ces indices s’établissaient respectivement à 129 et 127 en moyenne dans la zone euro [1] . Il est intéressant d’analyser les statistiques du surendettement.

Premier constat : une forte baisse du nombre de situations de surendettement

Le nombre de dossiers de surendettement déposés est passé de 218 102 en 2010 à 108 748 en 2020, après un pic de 230 935 en 2014. En raison du contexte sanitaire, le chiffre de 2020 doit être relativisé, mais il s’inscrit dans une tendance de baisse sensible depuis six ans. Alors que le nombre de dossiers avait augmenté de manière quasi ininterrompue chaque année depuis 1990, cette évolution a été endiguée, puis inversée. C’est un succès relatif dans la lutte contre un phénomène lourd de conséquences sociales et économiques pour les ménages concernés.

Ce succès a une dimension collective : la diminution du nombre de situations de surendettement s’explique d’abord par l’amélioration continue de la situation économique et la baisse du taux de chômage depuis 2015. Elle résulte aussi des mesures mises en place par les commissions de surendettement qui, en recourant plus fréquemment à l’effacement des dettes [2] , facilitent la possibilité d’un rebond (la « deuxième chance ») pour les ménages dans les situations les plus difficiles et limitent ainsi les re-dépôts de dossiers.

Un autre facteur, majeur, est la mise en place dès 2010, avec la loi Lagarde, de règles plus strictes en matière de distribution des crédits à la consommation. Cela explique pour l’essentiel la diminution du nombre de crédits à la consommation dans les dossiers. Les effets de cette législation se sont également traduits par la très forte baisse de l’encours des dettes liées à un crédit renouvelable, devenu en 2018 inférieur à l’encours lié à des prêts amortissables. Il est aujourd’hui trois fois inférieur à ce dernier. C’est un facteur de limitation des situations de surendettement. Ces tendances sont confirmées de façon plus générale par la diminution tendancielle des déclarations par les établissements de crédit au fichier des incidents de remboursement des crédits aux particuliers (FICP), tenu par la Banque de France.

Enfin, il faut saluer la contribution des intervenants sociaux, qui accompagnent de nombreuses personnes surendettées en amont, pendant et après la procédure, tout comme, sur la période la plus récente, la montée en puissance des dispositifs de prévention.

Deuxième constat : la dégradation de la situation socio-économique des ménages surendettés

Même s’il existe des exceptions (voir encadré), le profil socio-économique moyen des ménages surendettés est moins favorable que celui de l’ensemble des ménages français. On le constate de longue date, mais la situation s’est dégradée : en 2020, 64 % des ménages ayant vu leur dossier déclaré recevable par les commissions de surendettement disposaient de ressources mensuelles inférieures ou égales au SMIC, contre 54 % en 2010 et 42 % en 2001. Toujours en 2020, 57 % des ménages concernés percevaient des ressources inférieures au seuil de pauvreté monétaire.

D’autres éléments sont relativement constants sur la dernière décennie : les personnes seules ou seules avec enfants, les personnes locataires ou hébergées et les personnes au chômage sont surreprésentées au sein des ménages déposant un dossier de surendettement par rapport à l’ensemble de la population française ; l’épargne est quasi-absente dans les dossiers ; la moitié des ménages concernés ne présente aucune capacité de remboursement.

Troisième constat : d’importantes modifications dans la structure de l’endettement financier

En 2010, 95 % des dossiers de surendettement recevables comportaient au moins un crédit et les dettes financières (tous types de crédits et assimilés) représentaient 83 % du montant total des dettes contenues dans les dossiers. Dix ans plus tard, la part des dossiers recevables comprenant au moins un crédit est établie à 83 % (-12 points par rapport à 2010) et le poids des dettes financières dans l’endettement global s’est réduit à 73 % (-10 points).

Plus précisément, en 2010, 91 % des dossiers contenaient au moins un crédit à la consommation et chaque dossier concerné comprenait en moyenne 5,1 crédits pour un encours total moyen de 23 670 euros. 7 % des dossiers seulement contenaient un emprunt immobilier. En 2020, les crédits à la consommation étaient présents dans près de 75 % des dossiers (-16 %), avec en moyenne 4,2 crédits et un encours moyen de 22 916 euros. En revanche, 14,5 % des dossiers recevables incluaient un crédit immobilier.

Si la part des crédits dans l’endettement global des ménages surendettés a baissé en dix ans, le poids des dettes de charges courantes et des autres dettes (sociales, professionnelles, pénales, dettes diverses…) a progressé. Toutefois, les crédits restent présents dans la très grande majorité des situations de surendettement et constituent encore la plus grande part de l’endettement. Autre constat, la structure de l’endettement financier s’est modifiée. Le taux de présence des crédits immobiliers a doublé, pendant que le poids de l’encours des dettes à la consommation dans l’encours total de dettes sur crédit chutait de 75 % en 2010 à 51 % en 2020.

Cette hausse de la présence de crédits immobiliers doit être nuancée : avant 2011, en effet, de nombreuses commissions de surendettement tendaient à déclarer irrecevables les dossiers déposés par des débiteurs accédant à la propriété. C’est une autre avancée de la loi Lagarde que d’avoir clarifié que l’existence d’un bien immobilier – résidence principale – ne doit pas faire obstacle à la recevabilité. Le nombre de dossiers comportant un crédit immobilier, qui était un peu inférieur à 13 000 en 2010, était de 19 300 en 2019, avant de revenir à 15 200 en 2020, en lien avec la baisse exceptionnelle des dépôts de dossiers cette année-là. Cette augmentation relative ces dix dernières années constitue à la fois le signe d’une bonne maîtrise de l’endettement immobilier pendant la période et un point d’attention, dans la mesure où elle s’inscrit dans un contexte de baisse du nombre total de dossiers de surendettement.

Les points d’attention pour l’avenir

Fin octobre 2021, le nombre de dossiers déposés depuis le début de l’année était inférieur de 15 % aux dépôts des dix premiers mois de 2019. Il n’y a donc pas de rattrapage. Par ailleurs, les points de conjoncture effectués en lien avec l’Observatoire de l’inclusion bancaire (OIB) font apparaître que les incidents sur les comptes bancaires des ménages restent à un niveau bas, inférieur à celui de 2019. C’est également ce que constate la Banque de France en observant les nouvelles inscriptions sur les fichiers d’incident (FICP et FCC – fichier central des chèques). Compte tenu de ces éléments, suivis chaque mois dans le baromètre de l’inclusion financière de la Banque de France [3] , et des perspectives économiques favorables, la forte hausse des dépôts de dossiers de surendettement, qu’on craignait en début d’année, paraît très peu probable dans les prochains mois.

De même, les caractéristiques des dossiers déposés en 2021 sont très similaires à celles des dossiers déposés en 2019 et 2020, même si l’on observe une légère augmentation de la part des moins de 35 ans, des personnes percevant les minima sociaux ainsi que des situations causées par un surendettement actif. Ceci sera approfondi dans le cadre de la prochaine enquête typologique sur le surendettement des ménages, à paraître en février 2022.

Pour autant, il convient de rester vigilant : les associations et réseaux d’intervenants sociaux représentés à l’OIB soulignent qu’ils font l’objet de nombreuses sollicitations par des personnes en difficulté budgétaire, même si cela ne se traduit pas à ce stade par des situations justifiant le dépôt d’un dossier de surendettement. Par ailleurs, si le modèle de distribution des crédits à la consommation entrant dans le champ actuel des règles de protection du consommateur définies au chapitre II, titre Ier du livre III du crédit à la consommation s’est assaini par rapport à la période d’avant 2010 et si le modèle français de commercialisation des crédits à l’habitat apparaît robuste, le développement de plusieurs pratiques ou produits au cours de la période la plus récente mérite d’être suivi avec attention.

À surveiller, les mini-crédits et les paiements fractionnés

Il en va ainsi du développement des « mini-crédits » et du paiement fractionné. Si la faiblesse du montant et la durée très courte de ces crédits ne laissent pas présager qu’ils puissent à eux seuls générer des situations de surendettement, un modèle industriel consistant à faciliter et banaliser à grande échelle l’achat à crédit de biens ou services courants pourrait, s’il était mal maîtrisé, avoir des conséquences négatives pour des ménages déjà en situation de fragilité financière, en cas d’accumulation de tels crédits ou si leur utilisation devenait permanente. Une première estimation de la Banque de France confirme que la croissance de l’encours de ces crédits est actuellement supérieure au reste des crédits à la consommation. Il appartiendra à la commission et au législateur européens de déterminer dans quelle mesure la révision de la directive sur le crédit à la consommation pourrait dessiner un cadre juridique adapté pour ceux de ces crédits qui n’entrent pas dans le champ de la directive actuelle (lire l’article de Françoise Palle-Guillabert).

S’agissant des crédits immobiliers, la tendance à l’allongement des durées de remboursement, à l’augmentation du taux d’effort et à la réduction des apports personnels a motivé en 2019 les recommandations du HCSF qui deviendront contraignantes à compter du 1er janvier 2022 (lire l'article de Maël Bernier).

Anticiper la détection de la fragilité financière

En complément du nécessaire maintien d’une distribution équilibrée de crédit aux particuliers par les professionnels du secteur financier, des actions sont menées pour traiter les situations de difficulté financière le plus en amont possible et ainsi limiter les risques de surendettement. Il en va ainsi du dispositif d’identification par les banques des clients en situation de fragilité financière (voir encadré) et de ses corollaires : plafonnement des frais d’incident, entretien avec le conseiller bancaire, proposition de l’offre spécifique « clientèle fragile ». Il en est de même de l’action des associations, des centres communaux d’action sociale ainsi que des points conseil budget, tous acteurs qui accompagnent les ménages en difficulté dans l’accès aux droits sociaux et la gestion de leur budget. En complément, le développement des actions dans le cadre de la stratégie nationale d’éducation financière, dont la Banque de France est opérateur, apporte une contribution croissante, notamment auprès des jeunes publics et via les actions de sensibilisation auprès des intervenants sociaux.

Présidé par le gouverneur de la Banque de France, l’Observatoire de l’inclusion bancaire regroupe des représentants du secteur associatif et social, des grands réseaux bancaires et du secteur public. Il suit avec la plus grande attention la mise en œuvre des dispositifs visant à prévenir et traiter les difficultés bancaires des ménages [4] . Il suit également le développement du microcrédit qui, de par son caractère accompagné, facilite le financement des petits projets d’insertion sociale et professionnelle au profit de personnes n’ayant pas accès au crédit bancaire classique (voir encadré). À sa mesure, ceci participe d’un marché du crédit équilibré et inclusif.

Des progrès importants ont été réalisés depuis dix ans dans la prévention et le traitement du surendettement, que l'on doit aux législations en place et à une supervision efficace, aux efforts réalisés par les établissements financiers en direction de leur clientèle en situation de fragilité financière, au travail des commissions de surendettement et à l’activité d’accompagnement des intervenants sociaux. Dans un environnement évolutif, ces efforts doivent être poursuivis, alors que l’on peut estimer qu’environ 120 000 dossiers de surendettement auront été déposés en 2021. En liaison avec les autres acteurs, la Banque de France continuera à contribuer activement à la prévention et au traitement du surendettement et, plus globalement, à favoriser l’inclusion financière.

 

1 Source Banque de France : https://www.banque-france.fr/statistiques/credit/credit/credits-aux-particuliers.
2 Les mesures de rétablissement personnel représentaient moins d’un quart des sorties de procédures en 2011 et environ 40 % en 2019.
3 https://particuliers.banque-france.fr/surendettement/etudes-sur-le-surendettement.
4 Tous les travaux et constats de l’OIB figurent dans son rapport annuel, sur le site internet de la Banque de France :  https://www.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/oib2020_web.pdf.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº862
Notes :
1 Source Banque de France : https://www.banque-france.fr/statistiques/credit/credit/credits-aux-particuliers.
2 Les mesures de rétablissement personnel représentaient moins d’un quart des sorties de procédures en 2011 et environ 40 % en 2019.
3 https://particuliers.banque-france.fr/surendettement/etudes-sur-le-surendettement.
4 Tous les travaux et constats de l’OIB figurent dans son rapport annuel, sur le site internet de la Banque de France :  https://www.banque-france.fr/sites/default/files/medias/documents/oib2020_web.pdf.