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Reportings réglementaires : l’heure du modèle granulaire sous forme de cubes de données est venue

Créé le

10.01.2022

Le tsunami de nouvelles réglementations bancaires et le renforcement de la supervision financière ont donné lieu à une inflation des exigences de reporting. Les couches s’empilent et le besoin de cohérence s’affirme. Dans un souci d’efficacité, pour établissements et superviseurs, il faut changer de logiciel.

La source des exigences de reporting applicables au secteur bancaire apparaît dans les années 1990, sous l’impulsion des banques centrales nationales. Souvenez-vous des rapports BAFI, pour base des agents financiers, déployés en France dès 1993. Auparavant orientée vers la collecte d’informations comptables, l’évolution rapide des systèmes d’information a permis d’enrichir la vision initiale avec des tableaux annexes détaillant l’activité des entités régulées selon divers axes d’analyse (zone géographique, catégorie de clientèle, type d’instrument financier, maturité, devise, etc.), ainsi que de premiers indicateurs liés à la gestion des risques, tels que le ratio de solvabilité Cooke, issu des premières recommandations du Comité de Bâle.

Au tournant des années 2000, la mise en place de l’euro et du marché unique s’est accompagnée du déploiement de nouvelles exigences de reporting pour les établissements financiers européens. Cette vague s’opère cette fois à l’initiative de la Banque centrale européenne (BCE), dans le cadre de ses mandats de politique monétaire et de supervision prudentielle, et de l’Autorité bancaire européenne (EBA) dans sa mission d’harmonisation et de mise en convergence des règles prudentielles. À la clef, pour les établissements bancaires et les autorités de contrôle, une importante charge de transformation, ces nouvelles obligations s’additionnant aux reportings nationaux.

Le régulateur générateur d’inflation

La vague s’est transformée en tsunami à la suite de la crise financière de 2008-2009. La pression réglementaire s’est alors nettement accélérée, avec de nombreuses évolutions réglementaires dans la lignée des recommandations bâloises. La mise en application de ces recommandations a conduit à un important renforcement des indicateurs liés à la maîtrise des risques : redéfinition des ratios de solvabilité, ratios de liquidité, effet de levier, stress-tests, etc.

La désinflation n’est pas encore en cours, comme en témoignent les chantiers en cours. Depuis janvier 2022, est entrée en vigueur RUBA, reporting unifié des banques & assimilés. Il remplace SURFI, lui-même issu de BAFI. Et à l’échelle européenne, se profile d’ici 2023, la réforme Bâle IV ou la finalisation de Bâle III, si l’on veut utiliser le jargon des régulateurs.

Le tableau actuel des reportings (voir infographie) prend justement la forme de tableaux statiques définis par les autorités de supervision. Ces templates contiennent des données agrégées et/ou calculées par les établissements financiers à partir des informations détaillées issues de leur système d’information : systèmes comptables, base clients, systèmes de gestions, calculateurs risques et autres référentiels.

Les limites du modèle de reporting actuel

La mise en œuvre successive de toutes les directives de reporting nationales puis supranationales se traduit aujourd’hui par un modèle qui a atteint ses limites. Nous en avons dénombré pas moins de sept !

1. Les architectures informatiques de production des reportings sont obsolètes. Elles sont coûteuses à faire évoluer sans oublier les difficultés intrinsèques liées à la qualité et à la traçabilité des données.

2. Les reportings produits sont bâtis de manière silotée. À la clef, des problèmes de cohérence inter-reporting et inter-métrique. Par exemple, la cohérence des données liquidité n’est pas assurée entre LCR et FINREP.

3. Des redondances entre données déclarées dans certains reportings nationaux et supranationaux. Tel est le cas pour certaines données financières déclarées à la fois dans RUBA et FINREP.

4. L’approche pousse à un manque de réactivité. La mécanique ne permet pas de disposer de données détaillées en cas de crise et de mettre en place de collectes ad hoc, à l’image du reporting Covid pour le suivi des défauts et des prêts garantis par l’état durant la crise sanitaire. Dans des environnements atypiques, ce serait pourtant nécessaire pour une supervision précise et efficace.

5. La conception des données collectées est rigide et statique. Pour y intégrer de nouvelles données ou de nouveaux axes d’analyse, cela requiert des évolutions régulières de l’ensemble de la chaîne de production. La majorité des reportings ont ainsi des évolutions majeures tous les deux à trois ans.

6. Les banques tirent un bénéfice métier très limité de ces reportings. Les efforts sont majeurs pour fournir ces reportings réglementaires, mais les bénéfices quasi inexistants en raison de périodicités et de chaînes de production décorrélées d’un pilotage au quotidien.

7. Un important poste de coûts sans bénéfice compétitif. L’argument vaut pour les acteurs historiques ou pour les nouveaux acteurs souhaitant se lancer sur le marché, par exemple des succursales de banques étrangères ou des néo-banques et fintechs souhaitant se développer sur un nouveau territoire. Ce coût a été chiffré par l’EBA (voir encadré).

Le secteur prêt à muter vers un nouveau système

Dans cette étude sur les coûts, l’Autorité européenne mentionne que l’une des pistes les plus prometteuses, à terme, pour réduire la charge financière des reportings est la mise en place de reportings granulaires, en remplacement des reportings agrégés. Un tel modèle permettrait de réduire la charge de travail, tant pour les établissements financiers que pour les autorités de contrôle. Le rapport recommande de promouvoir les études et travaux sur les modèles intégrés-granulaires de reporting.

Nous avons acquis la conviction forte que le modèle de production des reportings va effectivement évoluer vers un modèle granulaire, sous forme de cubes de données. Différents paramètres permettent d’être confiants sur la maturité du secteur à opérer cette transition :

– l’évolution technologique qui permet désormais de traiter, d’échanger et de stocker d’importants volumes de données sans nécessité de les agréger ;

un début de maturité sur la gestion d’infrastructures big data, tant côté remettants que régulateur ;

une amélioration de la qualité de la donnée, notamment grâce aux principes de gouvernance BCBS 239, largement déployés ;

les coûts des dispositifs de reporting qui ne cessent d’augmenter malgré d’importants programmes d’efficacité opérationnelle, de mise en place de centres de services partagés et de recours à la délocalisation near-offshore, voire à l’externalisation de certaines fonctions ;

des reportings EBA granulaires déjà opérationnels, tels qu’AnaCredit pour la collecte d’informations sur les crédits aux entreprises et Securities Holding Statistics pour la collecte sur la détention de titres ;

certains superviseurs nationaux faisant appel à des modèles granulaires depuis plusieurs années, à l’image de la collecte brute de données en place en Italie et en Autriche, via la plateforme mutualisée AuRep couvrant 80 % du marché.

Pour l’industrie financière, ce changement de paradigme vers un modèle de collecte granulaire (voir infographie) se traduirait par une nette réduction de la pesanteur administrative et des coûts de la fonction reporting. La mise en place d’entrepôts de données à une maille fine, outre un niveau faible de transformation pour les déclarants, comparativement à des reportings agrégés évoluant à chaque réglementation, offre par ailleurs la possibilité de développer d’autres usages en interne, en particulier pour les fonctions régaliennes (risque, finance, conformité, audit).

Les bénéfices sont également significatifs pour les autorités de supervision, avec une augmentation de la qualité et de la valeur ajoutée des données collectées, nécessaire pour une supervision précise, efficace et évolutive, tout en limitant le recours à des demandes récurrentes de données complémentaires adressées aux établissements.

BIRD et IReF ouvrent la voie à un format harmonisé de reporting

Face à ce constat, le régulateur bancaire européen a lancé deux initiatives complémentaires visant à expérimenter la mise en place de dispositifs de remise de données détaillées et granulaires, sous forme de cubes de données (clients, contrats, transactions, etc.).

Première initiative : BIRD (Banks' Integrated Reporting Dictionary). Ce modèle et ce dictionnaire de données harmonisés à la sortie des systèmes d’information bancaires visent à faciliter la production des reportings prudentiels actuels, à travers des règles de transformation et des contrôles standards et communs aux différents établissements financiers. BIRD est une étape intermédiaire, avant un reporting granulaire, mais n’a pas de caractère réglementaire. Il s’agit uniquement d’une proposition de transposition des exigences réglementaires à un niveau opérationnel.

Seconde initiative : IReF (Integrated Reporting Framework). Ce dispositif de reporting vise à remplacer l’ensemble des reportings réglementaires statistiques européens existants et très hétérogènes au sein de la zone euro – 19 systèmes de collecte différents. IReF étant un cas d’usage natif de BIRD, il pourrait être une formidable incitation pour les banques à implémenter ce dernier. La BCE estime pour le moment que l’entrée en vigueur d’IReF aura lieu entre 2024 et 2027.

Pourquoi la bascule tarde encore…

Ces deux initiatives au potentiel prometteur suscitent un fort intérêt du marché. Mais force est de constater que, hormis quelques expérimentations limitées à certaines briques du BIRD et à un nombre réduit de reportings réglementaires, leur adoption par les banques commerciales européennes se fait encore attendre. La majorité des acteurs adoptent une posture de veille et n’ont, à ce jour, pas encore lancé leurs études d’impact et projets d’implémentations sur le sujet.

Pour réussir, cette transformation en profondeur du mécanisme de reporting réglementaire suppose de lever un certain nombre d’obstacles :

– s’accorder sur un modèle de données stable, universel et harmonisé entre les différents groupes de travail de l’EBA, de la BCE et des régulateurs nationaux ;

– clarifier la gouvernance de ce modèle de données, notamment les interactions entre les régulateurs nationaux et supranationaux, ainsi qu’avec l’industrie financière ;

– promouvoir et accompagner cette transformation auprès de l’industrie financière, voire opter pour une réglementation contraignante, tout en dressant une trajectoire de sortie du modèle actuel de remise ;

– poursuivre le déploiement d’outils big data au sein des banques,pour leur permettre de conserver la maîtrise des données déclarées à un niveau granulaire et d’assurer leur alignement avec les indicateurs de pilotage de la banque (e.g. ratios de solvabilité, liquidité, etc.) ;

– renforcer les ressources et moyens dédiés aux travaux de calcul et d’analyse de données granulaires au sein des organes de régulation et de supervision

Étant donné les exigences en la matière nées ces vingt dernières années, le modèle actuel de reporting, complexe et coûteux, n’est plus soutenable par le secteur financier. Sa transformation vers un mécanisme de reporting harmonisé et granulaire, sous forme de cube de données, nous apparaît comme une suite logique, offrant des perspectives très prometteuses en matière de rationalisation et de réduction des coûts de reporting réglementaire. Il permet aussi de dégager de la valeur ajoutée sur les données collectées pour l’ensemble des acteurs de la chaîne de valeur. Certes, les défis à relever sont encore nombreux et nécessiteront un important travail de collaboration entre les autorités supranationales et nationales et l’industrie financière pour opérer ce virage. Mais cette mise en place devrait se matérialiser, selon nous, d’ici la seconde moitié de cette décennie.

A.B. et N.R.

 

 

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº865