Square
 

Blanchiment des capitaux : le Tribunal de l’Union européenne valide le retrait de l’agrément d’une banque estonienne

Créé le

12.01.2022

Saisi d’un recours en annulation formé par Versobank AS et son actionnaire principal contre la décision de la Banque centrale européenne prononçant le retrait de l’agrément de l’établissement de crédit estonien, le Tribunal apporte d’utiles précisions sur la répartition des compétences au sein de l’Union bancaire.

Versobank AS est un établissement de crédit établi en Estonie relevant de la surveillance prudentielle directe de la Finantsinspektsioon (FSA) dans le cadre du Mécanisme de surveillance unique (MSU). Le 6 mars 2018, le conseil de surveillance prudentielle de la Banque centrale européenne (BCE) a approuvé le projet de décision de retrait de son agrément de Versobank AS. Il avait été proposé par la FSA suite au constat, à l’occasion de plusieurs inspections sur place, du non-respect des dispositions en matière de lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. Puis, après avoir pris connaissance des observations formulées en défense par Versobank AS, le conseil des gouverneurs de la BCE a procédé au retrait de l’agrément de l’établissement de crédit estonien par une décision du 26 mars 2018.

La banque ukrainienne Ukrselhosprom PCF LLC est l’actionnaire majoritaire de Versobank AS. Elle a fait demande de révision de cette décision. La commission administrative de réexamen de la BCE [1] a rendu un avis au conseil de surveillance prudentielle et proposait de considérer que les violations substantielles et procédurales alléguées par la demanderesse étaient non fondées. Avec la proposition de soumettre au conseil des gouverneurs un nouveau projet de décision de retrait d’agrément ayant un contenu identique à celui de la décision contestée. Le conseil des gouverneurs a suivi l’avis de la commission administrative de réexamen par une décision du 17 juillet 2018. Entre-temps, Versobank AS a été placée en liquidation et ses clients ont pu être indemnisés par le fonds estonien de garantie des dépôts dans la limite du plafond légal.

Les multiples casquettes de la FSA en question

Versobank AS et son actionnaire principal ont formé un recours en annulation devant le Tribunal contre la décision de la BCE du 17 juillet 2018. Mais le Tribunal a écarté les vingt-cinq moyens avancés par les requérantes et a rejeté intégralement le recours.

L’arrêt commenté suscite l’intérêt en ce qu’il clarifie l’articulation des compétences au sein de l’Union bancaire entre, d’une part, la BCE agissant dans l’exercice de ses missions de surveillance prudentielle, et, d’autre part, les autorités nationales de résolution des crises bancaires ainsi que les autorités nationales de surveillance dans le domaine de la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme (LCB/FT). En effet, la FSA est à la fois l’autorité compétente nationale en matière de surveillance prudentielle directe des établissements moins importants dans le cadre du MSU, l’autorité nationale de résolution pour ces mêmes établissements dans le cadre du Mécanisme de résolution unique (MRU) et l’autorité nationale chargée de contrôler le respect par les établissements de crédit, quelle que soit leur taille, des dispositions en matière de LCB/FT [2] .

Pas de conflit entre les mesures de résolution et de supervision

En premier lieu, les requérantes soutenaient l’incompétence de la BCE pour retirer l’agrément de Versobank SA, dès lors que la FSA était déjà intervenue en tant qu’autorité nationale de résolution. Par une décision du 10 avril 2017, la FSA avait constaté que l’établissement de crédit estonien avait commis plusieurs violations des conditions à laquelle était soumis le maintien de son agrément et qu’il était, par conséquent, en situation de défaillance avérée ou prévisible, comme le prévoit le considérant 57 du règlement MRU [3] .

Le Tribunal considère toutefois qu’il n’y a pas, en l’espèce, de conflit entre une mesure de surveillance prudentielle adoptée par la BCE et une mesure de résolution prise par la FSA. La raison ? Une déclaration de défaillance avérée ou prévisible n’est qu’un acte préparatoire, et non une décision finale.

L’article 18, § 1, du règlement MRU soumet l’ouverture d’une procédure de résolution à trois conditions cumulatives : l’établissement de crédit doit être en situation de défaillance avérée ou prévisible, aucune mesure prudentielle ou de nature privée ne peut empêcher sa défaillance dans un délai raisonnable et l’adoption d’une mesure de résolution doit être nécessaire dans l’intérêt public.

Une déclaration de défaillance avérée ou prévisible n’a pas caractère décisoire

Or, la FSA a pris une seconde décision, le 7 février 2018. Elle considère alors que la résolution de Versobank SA n’est pas nécessaire dans l’intérêt public, au motif que la liquidation de l’établissement de crédit aurait peu d’effet sur l’économie estonienne [4] . Le lendemain, la FSA a adressé à la BCE une proposition de retrait d’agrément, ce qui exprimait clairement sa préférence pour la voie de la surveillance prudentielle plutôt que celle de la résolution bancaire.

La troisième condition posée à l’ouverture d’une procédure de résolution n’étant pas remplie, la FSA n’avait adopté aucune mesure de résolution à la date du retrait de l’agrément de Versobank AS par la BCE. Le Tribunal en déduit qu’une déclaration de défaillance avérée ou prévisible, émanant d’une autorité nationale de résolution et motivée par le non-respect d’une des conditions requises pour l’agrément, qui ne donnerait pas lieu à une mesure de résolution, n’interdit pas à la BCE d’adopter par la suite une décision de retrait d’agrément.

La lutte contre le blanchiment hors de portée de la BCE ?

En second lieu, les requérantes prétendaient que la BCE n’était pas compétente pour adopter la décision du 17 juillet 2018 prononçant le retrait de l’agrément en raison de la violation par Versobank AS de ses obligations en matière de LCB/FT.

En effet, le considérant 28 du règlement MSU énonce que les missions de surveillance non expressément confiées à la BCE demeurent du ressort des autorités nationales et que ces missions incluent notamment « la prévention de l’utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme ». La FSA, en tant qu’autorité nationale de surveillance bancaire, est donc toujours chargée de contrôler le respect par les établissements de crédit établis en Estonie de leurs obligations en matière de LCB/FT.

Le Tribunal juge cependant que la BCE est seule compétente pour prononcer le retrait de l’agrément bancaire, conformément à l’article 4, § 1, du règlement MSU, à l’égard de tout établissement de crédit, indépendamment de sa taille et du motif invoqué. Il ajoute que la violation des obligations en matière de LCB/FT est un motif de retrait d’agrément prévu par la CRD IV [5] .

Le respect de la répartition des compétences au sein de l’Union bancaire impose cependant que la BCE ne puisse prononcer un retrait d’agrément pour des motifs de LCB/FT que sur proposition de l’autorité compétente nationale. Le Tribunal précise, en effet, que le pouvoir de proposition du retrait de l’agrément demeure du ressort des seules autorités nationales de surveillance dans le domaine de la LCB/FT. J. L.-C et J.-P. K

 

1 La Commission administrative de réexamen de la BCE est un organe non juridictionnel chargé d’examiner la conformité formelle et matérielle des décisions de surveillance prudentielle de la BCE au regard du règlement MSU. – Règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la Banque centrale européenne (BCE) des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit : JOUE, 29 oct. 2013, n° L. 287, p. 63.
2 Il en va de même, dans notre pays, avec l’ACPR.
3 Règlement (UE) n° 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) n° 1093/2010 : JOUE, 30 juill. 2014, n° L. 225, p. 1.
4 Versobank AS comptait seulement 5 600 clients, dont 87 % de non-résidents, pour un montant total de dépôts de 253 millions d’euros, soit 1,5 % de l’ensemble des dépôts bancaires en Estonie.
5 Articles 18, sous f) et 67 § 1 de la directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement : JOUE, 27 juin 2013, n° L. 176, p. 338.

À retrouver dans la revue
Revue Banque Nº865
Notes :
1 La Commission administrative de réexamen de la BCE est un organe non juridictionnel chargé d’examiner la conformité formelle et matérielle des décisions de surveillance prudentielle de la BCE au regard du règlement MSU. – Règlement (UE) n° 1024/2013 du Conseil, du 15 octobre 2013, confiant à la Banque centrale européenne (BCE) des missions spécifiques ayant trait aux politiques en matière de surveillance prudentielle des établissements de crédit : JOUE, 29 oct. 2013, n° L. 287, p. 63.
2 Il en va de même, dans notre pays, avec l’ACPR.
3 Règlement (UE) n° 806/2014 du Parlement européen et du Conseil, du 15 juillet 2014, établissant des règles et une procédure uniformes pour la résolution des établissements de crédit et de certaines entreprises d’investissement dans le cadre d’un mécanisme de résolution unique et d’un Fonds de résolution bancaire unique, et modifiant le règlement (UE) n° 1093/2010 : JOUE, 30 juill. 2014, n° L. 225, p. 1.
4 Versobank AS comptait seulement 5 600 clients, dont 87 % de non-résidents, pour un montant total de dépôts de 253 millions d’euros, soit 1,5 % de l’ensemble des dépôts bancaires en Estonie.
5 Articles 18, sous f) et 67 § 1 de la directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d'investissement : JOUE, 27 juin 2013, n° L. 176, p. 338.
RB